Une présentation de votre parcours et de votre métier
Je suis devenue avocate après avoir intégré Sciences Po par le biais des conventions d’éducation prioritaire – qui relèvent des mécanismes de discrimination positive -. Lors de ma scolarité à Sciences Po, j’ai rencontré Jean-Michel Darrois qui est devenu mon mentor. J’ai également réalisé une partie de mes études à l’université McGill à Montréal (dans le cadre d’un échange puis au cours de mon L.L.M), ce qui m’a permis de développer une culture anglo-saxonne et de la mettre à profit de mes études de droit.
J’ai commencé ma carrière d’avocate auprès de Jean Michel Darrois. En 2009, j’ai été nommée Secrétaire générale de la Commission Darrois sur la Grande profession du droit lancée par le Président Sarkosy. Je n’ai donc pas commencé en tant que praticienne du droit mais en tant que professionnelle qui analysait les métiers du droit. Puis j’ai exercé chez Darrois Villey, un grande cabinet d’affaires.
Ensuite, je me suis lancée à mon compte mais cela n’a pas duré. En effet, lorsqu’Emmanuel Macron a créé son parti « En Marche !», j’ai été l’une des premières à le rejoindre. J’ai été Députée pendant 5 ans.
Désormais, je poursuis l’action que j’avais initiée en tant que Députée – qui consiste à travailler sur la régulation des réseaux sociaux et lutter contre la haine en ligne, mais aux États-Unis.
Pourriez-vous définir le cyberharcèlement ? Et comment se matérialise-t-il ?
Le cyber harcèlement, ce sont 2 actions différentes qui peuvent produire le même effet.
La première action de cyber harcèlement ressemble de près à ce qui peut se passer « dans la vraie vie » : une personne va par des actions répétées en déstabiliser une autre et porter atteinte à sa dignité. Par exemple, le fait pour une personne d’envoyer cent messages à quelqu’un peut-être du cyber harcèlement.
Nous avons aussi fait évoluer la loi en 2018 pour prendre en compte d’autres réalités sur les réseaux sociaux et ce qu’on appelle « le raid numérique ». Ainsi, le cyberharcèlement peut aussi être constitué lorsqu’un certain nombre de personnes, ensemble, vont porter atteinte à la dignité de quelqu’un. Par exemple, cent personnes envoient un message à une meme personne.
Comment se défendre contre le cyberharcèlement ?
D’abord, on n’est jamais responsable du cyberharcèlement dont on est la cible. J’utilise le mot cible et non pas victime, car il faut toujours se dire qu’on est une cible pour des haters, pour des trolls.
J’ai fait l’objet de plusieurs raids numériques ; à ce moment-là, on est dans la lessiveuse, on a l’impression qu’il n’y a que ça dans notre vie.
Le premier réflexe est de tout éteindre parce que l’enfermement algorithmique fait qu’on ne voit rien d’autre et cela amplifie encore plus l’atteinte qui nous est portée.
La deuxième chose est de ne rien laisser passer. Ce n’est pas parce que la violence se produit dans le cyberespace qu’il s’agit d’une violence purement numérique ou d’une violence d’une faible portée. Les droits dont nous disposons sont les mêmes dans le cyberespace et donc ces comportements ne doivent pas être minorés.
Il faut donc absolument déposer plainte, même si tous les commissariats ne sont pas les plus à l’aise avec ces sujets. Par ailleurs, je suis fière d’être à l’initiative de la création du « parquet numérique » dans la loi contre la haine en ligne. C’est ce qui permet que des affaires de cyber harcèlement soient portés à la connaissance de professionnels spécialisés. On peut prendre comme exemple une affaire à portée symbolique, celle de Milla où les cyberharceleurs ont été poursuivis et condamnés.
Quel(s) texte(s) permet(ttent) de lutter contre le cyberharcèlement ?
Il y a un tout un panel de textes qui permettent de sanctionner les faits de cyber harcèlement.
Il y a le texte précédemment évoqué de 2018 « loi Schiappa », qui permet de considérer les raids numériques comme du cyberharcèlement.
Il y a eu la loi dite Avia contre la haine en ligne qui a créé le parquet numérique et qui a créé un Observatoire de la haine en ligne. Il s’agit d’une avancée importante parce que c’est la seule instance au monde où se concentrent acteurs publics, plateformes, associations, chercheurs, dans le but de travailler ensemble et de trouver des solutions.
Cette loi prévoit aussi des mesures de modération pour les plateformes.
Ce texte a été une première fois censurée par le Conseil constitutionnel mais a été redéposée ensuite dans la loi Principe de la République dans laquelle on donne des obligations aux plateformes de diligence dans leur modération, de transparence dans leur fonctionnement et de coopération avec la justice sous peine de sanction qui peuvent aller jusqu’à 6% du chiffre d’affaires mondial.
Puis, il y a d’autres textes très sectoriels qu’on a pu voter en France et qui sont aussi importants. Je pense notamment à la loi contre le harcèlement scolaire qui permet d’intégrer la notion de harcèlement scolaire dans le Code pénal. C’est important parce que quand on demande aux plateformes d’agir, il faut qu’elle puisse agir sur la base de textes du code pénal et donc ça permet de mieux protéger les enfants.
Faut-il davantage responsabiliser les plates-formes et les hébergeurs pour lutter contre le cyberharcèlement ?
Oui, il faut responsabiliser les plateformes. On a eu 20 ans de laisser faire et sans contrôle. Mais ces plateformes peuvent générer de la souffrance et il faut mettre fin à ce système où des plateformes peuvent générer du profit sur cette souffrance. Il faut au contraire investir de l’argent pour y mettre un terme. En ce sens, on demande aux plateformes d’engager des modérateurs, de développer de l’intelligence artificielle pour lutter contre ces faits, et si jamais ils échouent et n’arrivent pas à protéger suffisamment leurs utilisateurs, dans ce cas, ils doivent être responsabilisés. C’est d’ailleurs les objectifs poursuivis par les dernières lois et notamment le dernier texte voté au Parlement européen « le Digital Services Act »
Les dispositifs existants sont-ils suffisamment efficaces pour lutter contre le cyberharcèlement ?
Si je prends les textes français et européens oui. Néanmoins, en tant qu’ancienne députée, je peux affirmer que la loi ne fait pas tout. A cet égard, les lois que j’ai fait voter ont eu des décrets d’applications qui ont été pris très vite. Sauf qu’il fallait ensuite que le régulateur, « l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique », prenne des lignes directrices, adopte un code de bonne pratique pour les plateformes et un an après ce n’est toujours pas fait, ce qui créé une situation de blocage.
Sur le texte européen, c’est à partir du mois de février 2023 que les textes vont commencer à s’appliquer et il va falloir s’assurer que tout se passe vite et bien au niveau de la mise en œuvre.
Que pensez-vous du lancement de l’application 3018 pour aider les victimes de cyberharcèlement ?
C’est une très bonne initiative, ce qui me permet en plus de mettre à l’honneur et de remercier les équipes du 3018, de e-Enfance. C’est une association présidée par Justine Atlan que j’ai rencontré au tout début de mes travaux. Pendant 20 ans, elle a continué avec la même abnégation sans jamais renoncer à ses idéaux. J’ai une admiration extraordinaire pour cette femme et ce qu’elle a pu mettre en œuvre, comme ce numéro unique nationalement reconnu. J’ai pu rencontrer leurs écoutants, ce sont des personnes dévouées et il faut se dire que ce n’est pas facile d’entendre et d’absorber la souffrance des autres. Donc oui, je suis très heureuse de cette reconnaissance et très admirative de leur travail.

Laetitia Avia