L’organisation d’activités pour les détenus au sein des prisons a fait l’objet de nombreux débats dernièrement, notamment s’agissant de détenus ayant été condamnés pour des faits considérés comme « particulièrement graves ». Cependant, comme l’a rappelé Dominique Simonnot (actuelle contrôleuse générale des lieux de privation de liberté), « les activités socio-culturelles et sportives sont loin d’être une exception en prison, et se caractérisent même par leur grande diversité. La loi pénitentiaire de 2009 les a d’ailleurs rendues obligatoires. » Elle ajoute que « TOUTE personne condamnée est tenue d’exercer au moins l’une des activités qui lui est proposée […] dès lors qu’elle a pour finalité la réinsertion de l’intéressé et est adaptée à son âge, à ses capacités, à son handicap et à sa personnalité ». Le code de procédure pénale rappelle bien qu’il peut s’agir d’activités « d’enseignement, de formation, de travail et socioculturelles et sportives ou de détente ».
L’instauration de ce type d’activités est d’autant plus importante dans ce contexte où la surpopulation carcérale a atteint un niveau réellement inquiétant en France, engendrant des conditions de détention déplorables et une difficulté à mettre en place les mesures adéquates afin de favoriser la réinsertion des détenus.
À travers les murs est une association d’initiative étudiante créée par Ilan Volson Derabours dans ce but de favorisation de la réinsertion de détenus en passant par la mise en place d’activités au sein des centres de détention, et notamment ici en passant par l’organisation de concours d’éloquence. Nous l’avons interrogé sur son association, l’intérêt de l’éloquence, mais également sur les polémiques qui existent autour de l’organisation d’activités en centre de détention pour tous les types de détenus, sans distinction. Dans ce cadre il soulignera que l’éloquence permet une reprise de confiance, indispensable à une bonne réinsertion mais aussi que selon lui « écarter des détenus en fonction de ce pourquoi ils ont été condamnés reviendrait à leur infliger une double peine.»
1. Une présentation de votre parcours
Je suis actuellement étudiant en Master 2 de Droit pénal international et des affaires (à Paris 1). J’ai obtenu une Licence et un diplôme du Collège de Droit de la Sorbonne dans la même université.
En 2019, j’ai été lauréat national du concours de plaidoiries Lysias et, en 2020, j’ai fondé l’association « À Travers les Murs » avec trois amis.
2. En quoi consiste exactement votre association « À Travers les Murs » ?
L’association “À Travers les Murs” s’attache à dispenser des formations à la prise de parole et à l’éloquence en milieu carcéral.
Les formations sont assurées par des étudiants bénévoles, rompus à l’enseignement des arts oratoires (vainqueurs ou organisateurs de concours d’éloquence, chargés d’enseignement etc.). Elles s’inscrivent concrètement dans une dynamique de réinsertion par la voie d’un aspect pratique particulièrement développé (simulation d’entretien d’embauche, débat contradictoire, posture judiciaire, improvisation, éloge etc.).

3. Comment vous est venue l’idée de créer une telle association ?
Après nos expériences personnelles au sein de concours et d’évènements d’éloquence, nous avons été amenés vers la formation, notamment dans le cadre universitaire.
Si cela nous a paru initialement intéressant et enrichissant, on a rapidement pensé que nous pouvions mettre nos connaissances au profit d’un autre public, dont la voix était moins audible ou considérée, et qui ne bénéficiait pas déjà de bases solides au niveau social (et rhétorique).
4. L’opportunité de participer à ce projet est-elle ouverte à tout type de détenus ? Peu importe le délit ou crime qu’ils ont commis ? Pourquoi avoir fait ce choix ? (on a pu voir notamment des initiatives comme la web série « Kohlantess » qui avait beaucoup fait parler car elle avait permis à des personnes détenues pour des délits/crimes parfois très grave de participer)
La possibilité de participer à ce projet est naturellement ouverte à tous les détenus. Nous n’opérons aucune sélection au nom de l’infraction commise.
Les inscriptions se font au volontariat avec une limite assez restrictive de places disponibles. Généralement, c’est l’administration pénitentiaire qui nous suggère des profils parmi les volontaires car nous avons peu d’éléments d’appréciation pour faire ce choix nous même. L’idée est d’avoir un groupe qui fonctionne bien, avec quelques éléments moteurs qui tirent les autres vers le haut.
Plus encore, nous choisissons de ne jamais demander aux participants pourquoi ils sont incarcérés, afin que notre comportement ne soit en rien conditionné par des considérations morales.
Écarter des détenus en fonction de ce pourquoi ils ont été condamnés reviendrait à leur infliger une double peine.
Quoiqu’il en soit, l’idéal pour nous est tout de même d’intervenir auprès de détenus en fin de peine, afin que notre soutien aux dynamiques de réinsertion reste le plus pertinent possible.
6. En quoi est-il selon vous fondamental de mettre en place des actions pour améliorer la réinsertion des prisonniers ? Quelles améliorations avez-vous pu observer chez les détenus ?
D’une manière générale, c’est fondamental pour prévenir la récidive. Aujourd’hui, toutes les études sur le sujet en témoignent, les prisons françaises ne luttent pas efficacement contre la réitération infractionnelle. On ne peut pas prétendre exclure des gens de tout contact social pendant plusieurs années et s’attendre à ce qu’ils ressortent en étant des citoyens nouveaux.
Plus spécifiquement, concernant les activités menées par « À Travers les Murs », l’éloquence est un formidable conducteur du lien social. Sans directement penser à la réinsertion, elle est déjà vectrice d’une pacification du quotidien carcéral : savoir se dire les choses, savoir prendre sur soi, prendre du recul, formuler un argumentaire, débattre etc. C’est le retour que nous font non seulement les détenus auprès desquels on intervient, mais aussi l’administration pénitentiaire avec laquelle on travaille.
Ensuite, avoir les clés du langage permet d’exprimer des sentiments, des émotions, des contrariétés autrement que par la violence. Cela ouvre une alternative à laquelle tout le monde n’a pas la chance d’accéder.
Enfin, les cours dispensés par l’association ont pour effet de donner à nouveau confiance aux participants, une confiance parfois brisée parce que beaucoup réalisent avoir eu un comportement dommageable, nombreux sont ceux qui s’auto-stigmatisent (consciemment ou non) et peinent à avoir confiance en eux.
L’éloquence permet aussi cette reprise de confiance qui constitue un préalable indispensable à une bonne réinsertion.
7. Estimez-vous que la législation actuelle/les actions mises en place en matière de réinsertion des détenus soient suffisantes ?
Au niveau législatif je ne pense pas. C’est un sujet épineux, qui passionne l’opinion publique, avec parfois un penchant voyeuriste et souvent un cruel manque de connaissance du monde carcéral.
Par contre, et je peux en témoigner avec « À Travers les Murs », il existe des personnes formidables, qui dirigent des établissements pénitentiaires ou coordonnent les services culturels de l’administration pénitentiaire et qui croient et appuient des initiatives comme la nôtre.
À Nanterre, la Directrice du Centre Pénitentiaire nous accorde une confiance rare. Elle ne cherche pas à savoir ce qui est dit dans nos séances ni à contrôler ce que nous enseignons. Elle nous offre 3 heures par semaine de temps extra-carcéral où on peut concrètement travailler avec les détenus en dehors de tout a priori et dans une relation pédagogique assez horizontale. De plus, on ressent une véritable volonté collective de faire du lien entre les différentes associations intervenant en prison (La Croix Rouge, des associations d’écriture, de théâtre d’improvisation, Pôle Emploi etc.). Je pense que cette coordination de nos actions est le levier le plus prometteur.
8. Quels sont les retours que vous avez pu avoir face à votre initiative (de la part des détenus notamment mais également des professionnels de l’administration pénitentiaire ou autres) ?
Le début du projet a été un peu complexe : des étudiants en droit qui veulent entrer en prison pour donner des cours d’éloquence, ça fait présomptueux.
On a eu de réelles difficultés à trouver un établissement où débuter nos cours. Il se trouve que Nanterre nous a fait confiance et les retours des détenus sont exceptionnels. Une vraie relation se crée au fil des séances, non seulement de travail mais aussi simplement humaine.
Maintenant, au vu de notre expérience depuis plus de deux ans, on a de réels gages de qualité à faire valoir si bien qu’on échange avec de nouveaux établissements pour élargir nos interventions. Cependant, bien que l’envie de travailler ensemble soit mutuellement présente, il est nécessaire de mentionner que les différentes démarches et procédures prennent du temps. Ainsi, la principale difficulté que l’on rencontre aujourd’hui est la lourdeur procédurale à laquelle est soumise l’administration pénitentiaire qui complique et retarde beaucoup les choses.
Propos recueillis par Lisa-Marie Rodriguez