Erwan Dieu est criminologue et docteur en psychologie. Il dirige le Service de Criminologie « ARCA » (association Loi 1901), qu’il a fondé en 2008.
L’ARCA partage ses actions entre :
- La prise en charge psychologique et thérapeutique des auteurs, victimes, témoins et intervenants confrontés à la violence
- La recherche, afin de créer de nouveaux protocoles d’action et la publication scientifique
- La formation aux protocoles d’action
1. Comment la recherche en criminologie peut-elle, selon vous, aider à la réinsertion des auteurs d’infraction ?
- La création de modèles :
La recherche en criminologie permet de créer de nouvelles méthodes et outils d’analyse scientifiques. La criminologie contemporaine et internationale a ainsi la particularité de mettre en œuvres de nouveaux modèles de réinsertion.
En effet, jusqu’ici, la criminologie telle qu’elle existait en France, relevait davantage d’une criminologie de science criminelle, très attachée aux textes de droit, ou encore critique avec la sociologie. Elle était également très psychologique pour d’autres, avec une médicalisation presque systématique du patient. Or tout ne se résume pas à des problèmes psychologiques, puisque l’origine de l’infraction est bien souvent sociale. Par exemple, les statistiques sur les facteurs de risque de récidive montrent que les infractions ont majoritairement des caractéristiques sociales.
- La formation des professionnels :
La formation des professionnels de la réinsertion en criminologie se développe. Le référentiel des pratiques opérationnelle (RPO) en lien avec les Règles Européennes de la Probation (REP) de 2010, fondés sur les données scientifiques, est de plus en plus appliqué.
La criminologie permet par exemple de mettre en place des échelles d’évaluation des risques de récidive, des facteurs de protection centrés sur les forces de la personne, utilisées par les professionnels accompagnant la réinsertion. Elles fournissent une donnée statistique de la probabilité de réitération de la personne en comparaison à des cohortes scientifiques préalables.
Néanmoins, la formation des professionnels en criminologie demeure insuffisante, notamment chez les professionnels du droit. La connaissance de la criminologie pourrait par exemple être pertinente pour les étudiants, les avocats, les procureurs, mais surtout les juges d’application des peines, parmi d’autres.
- La création de supports innovants, comme le jeu de réalité virtuelle FRED :
La réalité virtuelle d’immersion a été utilisée en criminologie pour pallier les problèmes d’abstraction intellectuelle. Certains auteurs d’infraction rencontrent des difficultés à se projeter dans le futur, c’est pourquoi la réalité virtuelle permet d’accompagner leur réinsertion en élaborant plus concrètement leur vie future autour de besoins acceptables éloignés de la délinquance.
Ces modèles d’analyse sont utilisés auprès des auteurs d’infraction par les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, pour accompagner leur réinsertion. L’ARCA est implantée auprès des services pénitentiaires et des préfectures. Elle intervient par exemple dans le cadre des obligations de soins, en complément du conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) en charge du mandat judiciaire.
- Le rôle démocratique de la criminologie :
Dans une société démocratique, il paraît important de privilégier des peines mettant l’accent sur la réintégration à la société, plutôt que sur l’exclusion, puisque la commission d’infraction peut être liée à une défaillance sociale des pouvoirs publics autant que de vulnérabilités personnelles issues de mauvais traitements ou d’opportunités criminogènes.
La criminologie peut donc avoir un rôle démocratique fort. Il s’agit de mettre l’accent sur la volonté de réintégrer l’auteur d’infraction à la société, en tant que citoyen. Cela doit bien-sûr être couplé avec une politique de prévention. En effet, Les critères ACE (expériences d’adversité durant l’enfance) témoignent ainsi du fait que ces expériences ont une influence importante sur l’infraction et le risque de réitération. Le fait d’avoir été violenté, négligé, d’avoir eu un parent incarcéré, d’être témoin de violences conjugales, ou encore la présence de stupéfiants au domicile sont des facteurs augmentant le risque de soi-même devenir auteur d’infraction (3 fois plus pour les hommes et 5 fois plus pour les femmes, en comparaison à une population déjà souffrante et se rendant à l’hôpital par exemple).
2. Comment expliquer que la récidive en France soit plus importante que dans d’autres pays, notamment les pays nordiques ?
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cela :
- Les conditions de détention :
La France fait partie des mauvais élèves à l’échelle de l’Union européenne, notamment eu égard aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires. Or les conditions de détention et de dignité accordées à la personne sont en corrélation directe avec la prévention de la récidive.
Améliorer les conditions de détention faciliterait la réinsertion des personnes. Mais il ne s’agit que de l’un des multiples facteurs permettant de faciliter la réinsertion.
- La conception française de la fonction de la peine et de la criminologie :
Certaines hypothèses de travail prennent en compte la conception de la peine, pour expliquer les méthodes de réinsertion mises en œuvre en France.
L’approche politique de la criminologie
L’une des particularités en France est que la donnée criminologique est une opinion populaire. Elle donne bien souvent lieu à une confrontation d’idées politiques, comme s’il n’y avait pas de données scientifiques stables. Cette tradition de politisation de la criminologie ne donne pas une vue d’ensemble et à long terme, qui permettrait de s’appuyer sur de la littérature scientifique ou sur des expérimentations. Peu de retours scientifiques sont faits sur les mesures mises en œuvre en France, pour évaluer leur véritable efficacité. Par exemple, il n’y a eu aucun retour réellement scientifique et stable sur l’efficacité des peines plancher.
La Conférence du consensus sur la récidive de 2013, qui a débouché sur les projets d’individualisation de la peine en 2004, est ainsi souvent attribuée à un projet socialiste. Il s’agit pourtant de la simple application de règles européennes de 2010.
Isoler la question pénitentiaire de considérations politiques, en s’appuyant davantage sur les données scientifiques pourrait amener à davantage d’avancées en termes de réinsertion.
L’on pourrait aussi envisager de rapprocher les scientifiques et leurs expérimentations de terrain, des décideurs politiques.
La conception de la peine comme instrument de prévention des risques
De même qu’en Amérique du Nord, la France a aujourd’hui plutôt une logique punitive que de réinsertion. L’une des théories permettant d’expliquer cette logique est fondée sur la prévention des risques.
Selon certaines théories, depuis les années 1970 et les crises financières , il y aurait en effet une logique de prévention des risques d’infraction qui se développe partout dans le monde. Il s’agirait d’une course au risque permanente. Cela conduit à mettre en œuvre un nombre important de mesures afin d’éviter au maximum le risque, plutôt que de miser sur le développement de la confiance envers les personnes réinsérées.
L’absence de consensus des projets de politique pénale :
Une autre théorie consiste à envisager deux projets de politique pénale qui se confrontent.
Le premier est fondé sur la rétribution. Ce projet moral est entièrement tourné vers le passé. Il s’agirait de considérer que les auteurs d’infraction doivent payer pour ce qu’ils ont fait.
Le second est fondé sur la prévention de la récidive et de la réinsertion. Ce projet est davantage tourné vers l’avenir. Il s’agit de partir du principe que peu importe ce qu’a fait la personne, on va chercher à garantir la réinsertion, la dignité humaine et les projets de vie. Ce projet vise ainsi à aider la personne à redevenir un citoyen.
Les différences de conception de l’infraction, résultant de ces deux projets de politique pénale, influencent donc l’approche de l’incarcération, et de la réinsertion.
La conception de la fonction de la peine est donc en lien avec la place que l’on va donner à la réinsertion de l’auteur d’infraction.
3. La peine a-t-elle une influence en termes de dissuasion à récidiver ?
Les données scientifiques ne montrent pas de lien de corrélation entre la sévérité de la peine et la dissuasion de récidiver. Par exemple, la France n’a jamais eu aussi peu d’homicides que depuis la suppression de la peine de mort. Il y a des méta-analyses très intéressantes qui comparent les types de peine (suivant leur sévérité) et la diminution de la récidive. Ce n’est jamais concluant.
Au contraire, plus on augmente les stratégies punitives et dissuasives, plus on a des risques de récidives.
Il n’est pas utile de systématiser la prison pour dissuader de récidiver. La prison peut elle-même être un facteur criminogène et pathogène.
Il n’a, par exemple, jamais été démontré scientifiquement que les prisons ont un intérêt pour la société civile, par rapport au fait d’être en milieu ouvert.
Propos recueillis par Marie-Amélie Contré