Une gestion réparatrice de la détention impulsée par les politiques étrangères

La sécurité des biens et des personnes est une préoccupation publique majeure et un risque social omniprésent. Au fil des années, les politiques pénales ont dû s’adapter à l’évolution de la délinquance et la persistance de comportements infractionnels.

Le concept de désistance ou de “sortie progressive” de la délinquance.

Les priorités portées par les principales études françaises et le monde politique ont été l’entrée dans la délinquance et le passage à l’acte, la récidive et la persistance du comportement délictuel ou criminel, la production de la norme pénale et la réaction sociale.


On s’intéresse à la période précédant le comportement délictuel, notamment à travers la criminologie, ainsi que la sanction à apporter à cette transgression. En revanche, la France ne s’intéresse que trop peu aux phénomènes de sortie de la délinquance, de réinsertion et de probation, problématiques majeures de prévention de la délinquance.
Dès lors, le traitement des sorties de la délinquance émerge tardivement (19 et 20ème siècles).
La désistance, forgée aux États-Unis, bénéficie d’une définition dynamique, et non statique. Elle induit un processus graduel et non un état. “Les résultats démontrent que renoncer à une vie déviante n’est pas le résultat d’une décision unique et isolée, mais d’un processus de changement, caractérisé par des vacillations, des ambivalences et des rechutes temporaires mais de moins en moins fréquentes et gravesSonja Snacken, Présidente du Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe. Actes du colloque « L’exécution des décisions en matière pénale en Europe, du visible à l’invisible », Ministère Justice/DAP, décembre 2008.

L’arrêt total et brutal des actes délictueux est utopique, la sortie de la délinquance est composée d’arrêts temporaires et de rechutes au cours desquels la fréquence et le type de délinquance diffèrent.
Cela implique de déterminer précisément la notion de « sortie » ainsi que les seuils temporels auxquels elle correspond, et la sortie de quel type de « délinquance ».

Si certains chercheurs estiment qu’il y a désistance s’il y a absence complète du comportement délictuel, d’autres s’accordent à penser qu’une diminution progressive de la gravité et de la fréquence du comportement suffit. Il n’y a pas de motif unique expliquant les sorties de délinquance, ces dernières sont multifactorielles. Il existe des facteurs de risque de la délinquance tels que des problèmes de santé mentale, l’absence de soutien familial, l’endettement.

A contrario, certaines situations favorisent directement la désistance (l’âge, la maternité, la formation et le travail, l’expérience conjugale). Aussi, Martine Herzog-Evans, professeure de droit et de criminologie à l’université de Reims, a précisé l’impact de la prison sur la récidive : « Une peine n’a jamais a priori d’impact positif sur la récidive, car tout dépend de ce que l’on met en face de la mesure : une probation molle ? Une probation avec programme ? ».

La prison pourrait avoir ce rôle si la probation assurait un réel suivi, prenant en compte le parcours de délinquance et privé de l’individu afin de proposer un accompagnement adapté de resocialisation et d’abandon de la délinquance. Or, actuellement, le travail de probation n’est pas efficace, une simple rencontre une fois tous les deux mois avec le CPIP ne suffit pas pour engager un processus de désistance. Aussi, le rôle conféré aux associations socio-judiciaires est trop faible. Acteurs fondamentaux de la chaîne pénale, elles participent directement à l’exécution des peines en se trouvant au plus près des détenus. Toutefois, elles ne font l’objet que d’une simple mention dans les textes législatifs et ne sont pas dotées des moyens nécessaires pour avoir un réel impact dans les parcours de vie et la sortie de la délinquance.

Au Royaume-Uni, les associations disposent de véritables moyens. À travers un réel accompagnement, elles font participer les détenus à des activités productives. Par exemple, l’association Samaritans lutte contre les suicides en prison. Grâce à Storybook Dads, les détenus deviennent les monteurs informatiques des histoires et messages enregistrés par des parents à leurs enfants pour maintenir le lien familial. Pour Michel Foucault, la prison française est « une détestable solution dont on ne saurait faire l’économie ».

Inclure la prison dans le processus de désistance impliquerait de reconnaître à la peine, au-delà de sa fonction sanctionnatrice, une fonction de réinsertion. À ce titre, il faudrait mettre à disposition des moyens budgétaires, matériels et humains nécessaires à l’adoption de politiques de réinsertion pérennes. Or, le fonctionnement actuel de la prison ne lui permet pas de remplir ce rôle. Pour confirmer ces propos, le SDSE a relevé que 31 % des sortants de prison sont condamnés une seconde fois pour une infraction commise dans l’année suivant leur libération. De plus, il existe des particularités propres à la France qui entravent directement l’insertion professionnelle, par exemple l’importance accordée au casier judiciaire, ou le niveau de diplôme requis par certains employeurs.
A titre de comparaison, en Angleterre, un simple brevet est demandé.

Si l’étude de la désistance pourrait permettre de prévenir la récidive, ces deux termes complexes ne se confondent pas. La récidive est caractérisée s’il existe des condamnations antérieures. La désistance quant à elle, ne se fonde pas sur les condamnations antérieures, mais sur la situation personnelle du condamné, le « processus dynamique » englobant à la fois les données personnelles, financières, sociales ou encore psychologiques. En France, la loi pénitentiaire de 2009 constitue à la fois les prémisses et l’achèvement du traitement concret de ce phénomène. En effet, cette loi crée l’Observatoire de la récidive et de la désistance, définitivement installé en 2016.
Ses principales missions étaient la collecte d’informations, la recherche et l’analyse en matière de récidive et de désistance. De toute son histoire, un seul rapport a été rendu public, publié fin 2017.

Le rapport démontrait le lien entre la récidive et la désistance. Pour instaurer des politiques publiques efficaces, il préconisait une double-analyse centrée d’une part, sur l’évaluation « du casier judiciaire national, propre, […] à mesurer l’importance des populations en cause » et donc le taux de récidive, d’autre part, sur « des études des parcours individuels » pour mesurer la construction de la trajectoire des délinquants ou l’abandon de cette trajectoire.

Toutefois, la loi d’accélération et de simplification de l’action publique du 7 décembre 2020 supprimera cette structure novatrice. Une occasion manquée pour la France de théoriser et d’expérimenter davantage la sortie de la délinquance.

La justice restaurative, mode de résolution des conflits ?

Les principales mesures de la justice restaurative ont été développées dans les années 1970 au Canada.
L’article 10-1 du CPP, modifié par la loi Taubira, définit la justice restaurative comme : « toute mesure permettant à une victime ainsi qu’à l’auteur d’une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l’infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission ».

La circulaire du 15 mars 2017 précise qu’elle vise à « restaurer le lien social endommagé par l’infraction, à travers la mise en œuvre de différentes mesures associant la victime, l’auteur et la société. Elle est conçue pour appréhender l’ensemble des répercussions personnelles, familiales et sociales liées à la commission des faits et participe ainsi, par l’écoute et l’instauration d’un dialogue entre les participants, à la reconstruction de la victime, à la responsabilisation de l’auteur et à l’apaisement, avec un objectif plus large de rétablissement de la paix sociale ».

L’objectif est d’apporter une réparation autre que financière, d’ordre humanitaire et sociale. Un apport complémentaire à la justice pénale traditionnelle qui ne peut, à travers la peine sanctionnatrice quand bien même nécessaire, apporter cette dimension sociale réparatrice.
Une ambition nouvelle poursuivant le triple-objectif de satisfaire les intérêts de la victime, de l’auteur et de la société.

Une dimension sociale qui concorde avec le Code pénal. En effet, pour rappel, l’article 130-1 du CP assigne deux fonctions cumulatives à la sanction pénale : sanctionner l’auteur et favoriser son insertion ou sa réinsertion. Aussi, l’article 132-19 du CP qui prévoit, en matière délictuelle, le prononcé d’une peine d’emprisonnement en dernier recours. Enfin, la LPJ et la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire recommandent aux juges, dans certains cas, de développer le prononcé de peines alternatives ou d’aménagement de la peine.

Toutes ces dispositions concordent avec l’esprit de réparation et de dialogue de la justice restaurative, puisque l’insertion et la réinsertion passent par la triple-réparation de l’auteur, de la victime et de la société.

Le deuxième objectif poursuivi par la justice restaurative, concordant également avec les récentes réformes, est la prévention de la récidive. En effet, l’accompagnement proposé doit permettre la prise de conscience de l’auteur de la gravité de ses actes et de le responsabiliser afin qu’il soit conscient des règles qu’implique la vie en société.
Par exemple, dans le cadre du cercle de soutien et de responsabilité, le but est de proposer de manière temporaire à l’auteur un réseau social, et de l’aider à créer son propre réseau de manière durable et ainsi de favoriser sa réinsertion sociale.

En France, la médiation est pratiquée uniquement dans le cadre pré-sentenciel, pour des infractions moyennement graves telles que le vol, les conflits familiaux, les dégradations.

Certains mouvements sont impulsés afin de développer davantage la justice restaurative aux côtés de la justice pénale traditionnelle. Par exemple, France Victimes, fédération française regroupant 130 associations d’aide aux victimes propose des formations en ligne en la matière ayant pour but de responsabiliser l’auteur et de restaurer la paix sociale.
Un partenariat avec le SPIP de la maison centrale de Poissy a été conclu afin d’organiser des rencontres entre détenus et victimes à cet effet. Aussi, en 2017, le TGI de Lyon a sélectionné plusieurs dossiers pour lesquels il souhaitait mettre en œuvre une mesure alternative à travers la médiation pré-sentencielle.

Une rencontre entre auteurs et victimes, encadrée par un tiers professionnel et les avocats des parties. Le prononcé de la mesure pré- sentencielle avait pour but de faire prendre conscience aux auteurs des conséquences de leurs actes. Cependant, sur 15 dossiers, seuls deux ont débouché sur une rencontre, les victimes et les magistrats étant trop réticents au développement de ce type de mesure.

Enfin, l’Institut français pour la justice restaurative va mener une expérimentation à la cour d’appel d’Aix-en-Provence dans le but de permettre aux parties d’ouvrir « un dialogue volontaire […] confidentiel et sécurisé afin d’échanger autour des répercussions
vécues »
. Une journée de présentation de l’expérimentation a lieu le 16 juin 2022.

Si la justice restaurative paraît être un mode positif de résolution des conflits, notamment en Australie, Nouvelle-Zélande et au Canada, des raisons culturelles expliquent la difficile implantation de cette pratique en France.
Tout d’abord, la place considérable accordée à la victime dans le procès pénal. Notre droit est marqué par la nécessité d’empêcher une pression sur les victimes.

L’article 144 du CPP prévoit les cas dans lesquels une détention provisoire peut être ordonnée ou prolongée, notamment : « empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ». L’article 138, 9°, du CPP permet d’astreindre au CJSE l’obligation de : « s’abstenir de recevoir ou de rencontrer certaines personnes spécialement désignées par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention, ainsi que d’entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit ».

D’autres raisons ont été mises en avant par des autorités judiciaires.
Il y a notamment « le risque de banalisation du traitement judiciaire » et « la perte d’efficacité du modèle de sanction ». Il y a également la crainte d’une perte d’autorité étatique au profit des associations et des professionnels de la justice restaurative. Enfin, la question du financement des mesures de justice restaurative, « notamment du point de vue des moyens humains ».
Toutes ces raisons incarnent une vision désolante de la justice, qui au-delà de l’aspect punitif doit garantir la cohésion sociale et la place de chacun : auteur comme victime. « La peine prononcée par le juge, elle l’est au nom du peuple français, elle doit réparer un mal causé à la communauté et pour cela être lisible précisément pour que la communauté estime que le mal est réparé ». Emmanuel Macron, visite à l’ENAP le 6 mars 2018.

Cette notion de « réparation » n’est pas intégrée par les juridictions pénales et par certains acteurs qui la composent. Une enquête menée par l’Institut français pour la justice restaurative en France pour l’année 2020 a recueilli les avis de professionnels (juristes, CPIP, DPIP) mettant en lumière les freins à son expansion en France. L’influence de la justice restaurative sur le système de justice est soumise à la connaissance de cette dernière « par les acteurs du système judiciaire du début à la fin de la chaîne pénale, du policier au magistrat en passant par l’avocat et le surveillant de prison ». Si cette pratique traditionnelle a démontré son impact positif dans les pays anglo-saxons, elle devrait être érigée au rang des réponses pénales réparatrices en France. En pratique, ces dispositifs sont peu connus, faute d’intégration dans les formations ou à l’école de la magistrature, et a fortiori ne peuvent être intégrés dans notre système judiciaire.

Marie GLANTZMANN

Membre de Juristes d’avenir, titulaire d’un Master 2 Droit public, mention Sécurité Intérieure

Publié par Juristes D'avenir

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