La surpopulation carcérale représente depuis de nombreuses années déjà un réel problème en France. Des solutions doivent indéniablement être trouvées notamment au niveau politique comme en atteste la condamnation de la France pour l’état de ses prisons par la Cour européenne des droits de l’Homme en 2020.
Ce sont trente-deux requêtes initiées par l’Observatoire international des prisons qui ont abouti à cet arrêt de première importance de la CEDH. Le premier recours qui a eu lieu en 2012 contre les conditions de détention de la maison d’arrêt des Baumettes (Marseille) avait été exercé à la suite d’un rapport alarmant du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Le CGLPL est une autorité administrative indépendante (AAI) dont la mission est de veiller à ce que les personnes privées de liberté soient traitées avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.
Le Secrétaire général du CGLPL, Monsieur André Ferragne nous parlera donc ici du rôle et de l’influence de l’AAI pour relever ces différents défis auxquels la France doit faire face.
1. Une présentation de votre parcours et de votre métier
J’appartiens à un corps ministériel d’inspection générale (Contrôle général des armées). J’ai été conseiller en cabinet ministériel (défense), chargé de fonctions d’expertise au secrétariat général du Gouvernement puis directeur des services administratifs et financiers du Premier ministre. J’ai également été contrôleur, contrôleur général, puis chef d’un groupe de contrôle au contrôle général des armées.
Je suis aujourd’hui le secrétaire général du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Mon métier consiste à assurer l’administration et la coordination de cette institution et à seconder le Contrôleur général.
2. Pouvez-vous nous expliquer brièvement quel est concrètement le rôle du CGLPL ?
Le CGLPL est chargé de visiter les lieux dans lesquels des personnes sont privées de liberté par décision d’une autorité publique (prisons, établissements de santé mentale recevant des patients en soins sans consentement, centres de rétention administrative, centres éducatifs fermées, locaux de garde à vue) pour s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux.
Il adresse des recommandations en cette matière aux ministres concernés ; il est autorisé à rendre ses recommandations publiques.
3. Quelles sont selon vous les causes majeures de la surpopulation carcérale ? Quels sont les principaux problèmes liés à cette surpopulation ?
Les causes de la surpopulation carcérale sont en premier lieu une aggravation globale des sanctions prononcées, en second lieu un nombre très important de courtes peines malgré les mesures prises pour tenter de les réduire et un recours massif à la détention provisoire. Les prisons sont également occupées de manière significative par des détenus atteints de troubles mentaux qui seraient mieux pris en charge en établissement de santé mentale.
Les conséquences de la surpopulation sont en premier lieu celles qui sont liées à la promiscuité : perte d’autonomie, atteintes à l’intimité, accroissement des violences et en second lieu celles qui résultent de la saturation globale des services pénitentiaires : limitation de l’accès aux soins et aux activités (travail, enseignement, activités liées à le réinsertion). La saturation des locaux entraîne également des difficultés d’accès à certains lieux, comme les parloirs, ce qui limite les relations des détenus avec leurs familles, ou à certains services comme les services pénitentiaires d’insertion et de probation. Tout cela a pour effet de multiplier le nombre des « sorties sèches », quasi-systématiques pour les courtes peines, qui fragilisent la réinsertion et impliquent un risque élevé de récidive.
4. Quels liens faites-vous entre surpopulation carcérale, conditions de détention et réinsertion des détenus.
La surpopulation dégrade de manière directe et systématique les conditions de détention et a ainsi un impact négatif sur la réinsertion des détenus.
5. Pouvez-vous citer des exemples de solutions que l’on pourrait trouver pour remédier à ces différents problèmes ? (Que ce soient des solutions juridiques, pratiques etc.)
Il est nécessaire à court terme de revenir à un effectif de détenus compatible avec la capacité d’accueil des prisons. Cela avait été fait au printemps 2020 à la suite des ordonnances du 25 mars. Dans ce cadre, le cumul de la mise en pause des juridictions et des mesures de libération des détenus en fin de peine, a eu pour effet de faire baiser la population pénale de 13 000 en trois mois, et ce sans conséquence sur l’ordre public et la sécurité publique. Les prisons s’étaient retrouvées brièvement avec un effectif de détenus très légèrement inférieur à leur capacité d’accueil. C’est l’effectif auquel il faut revenir.
De manière plus durable, il faut mettre en place un système de régulation carcérale, géré par l’autorité judiciaire, consistant à examiner toutes les situations permettant de limiter le nombre des détenus à partir du moment où un établissement pénitentiaire approche de la barre des 100% de taux d’occupation. Il peut s’agir soit de différer des incarcérations, soit de hâter des libérations pour des détenus proches de leur fin de peine. Cette mesure doit être inscrite dans la loi car aucune autre règle ne peut s’imposer à l’autorité judiciaire. Sans cela aucune baisse de la population pénale ne pourra être durable.
En tout état de cause, la solution consistant à augmenter le nombre de places de prison est sans issue. L’histoire montre que même si le nombre de places de prison a doublé en 40 ans, la surpopulation également a crû pendant cette période. L’annonce de places nouvelles de prison crée systématiquement un appel d’air dont les conséquences se font sentir avant même que la construction ne soit effective.
6. En quoi les actions du CGLPL sont-elles réellement importantes pour faire face à tous ces problèmes, malgré l’absence de réel pouvoir de sanction ? Quels sont vos moyens d’action ?
Le CGLPL dispose d’une influence intellectuelle et morale différente de celle d’un « pouvoir » au sens strict, qu’il soit d’injonction ou de sanction. À ce titre, la publication de ses travaux et opinions joue un rôle essentiel dans leur influence. La principale difficulté à laquelle le CGLPL est confronté est liée au fait qu’il porte souvent des idées qui vont à l’encontre de celles communément admises par l’opinion publique. C’est donc d’abord une œuvre de pédagogie qui doit être la sienne.
Les suites immédiates de la visite sont souvent très positives : avant même la publication d’un rapport, le compte-rendu oral qui est fait aux autorités locales leur permet d’identifier et de résoudre un nombre important de questions pratiques. On peut mentionner notamment l’exemple de la psychiatrie qui est un des plus encourageant dans la mesure où les équipes locales sont souvent très réactives est à cet égard.
Les principaux moyens d’action du CGLPL sont l’envoi de recommandations aux ministres ou au Parlement et la publication de ses rapports.
7. Pensez-vous que l’octroi à l’AAI d’un pouvoir de sanction équivalent à celui de l’Arcom par exemple serait nécessaire ? Pourquoi ?
Ce ne serait pas pertinent car le pouvoir de sanction de l’Arcom, de même que celui de nombreuses autres AAI n’est pas lié à leur statut mais à leur fonction de régulation d’un marché. Le rôle du CGLPL, contrôler l’État ou ses opérateurs, n’appelle pas ce type de compétence qui relève du juge administratif.
8. Pensez-vous que la condamnation de la France par la CEDH en 2020 pour les conditions considérées comme inhumaines et dégradantes au sein de ses établissements pénitentiaires était prévisible ?
Oui cette condamnation était prévisible en raison d’une part du caractère chronique de la surpopulation carcérale, d’autre part de l’indignité générale des conditions de détention dans certaines prisons, en particulier dans les maisons d’arrêt. Les rapports du CGLPL, qui pendant plus de dix ans avaient mis ces deux points en lumière, ont contribué à rendre la situation visible et à mettre en lumière son caractère inacceptable.
Propos recueillis par Lisa-Marie Rodriguez