Quitter la profession d’avocat : causes et enjeux par Noréa Thomas, ancienne avocate

” La perte de sens ” des professionnels du droit est l’un des enjeux qui traverse notre société contemporaine. Le manque de moyens humains et matériels entraîne bien souvent des conditions de travail délabrées, une augmentation des délais de traitement des dossiers, parfois des reports d’audience, et ce qui peut interroger au niveau du délai raisonnable pourtant consacré et protégé par la Cour européenne des droits de l’homme en son article 6. 

Or, les causes peuvent aussi revêtir un aspect plus personnel comme la recherche d’équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Dans cet article Noréa Thomas revient sur son parcours et les raisons qui l’ont poussée à quitter la profession d’avocat.

Pouvez-vous présenter votre parcours et votre profession ?

Quelques mots sur mon parcours académique, qui intéressera peut-être votre cible : j’ai effectué ma licence de droit privé à Dijon, puis un Master 1 en droit des affaires en Erasmus à Manchester (en 2008).

J’ai ensuite déménagé à Lyon où j’ai passé un Master 2 en propriété intellectuelle – droit des affaires. J’ai enchaîné les stages et contrats de juriste en cabinet d’avocats et en entreprise, avant de me décider à passer le CRFPA en 2011. J’ai suivi l’Ecole des avocats à Lyon, pendant laquelle j’ai effectué des stages chez Parfums Christian Dior (stage PPI) et chez Fidal (stage final), en propriété intellectuelle et droit des affaires.

J’ai eu la chance de pouvoir continuer chez Fidal pour ma première expérience d’avocate, en remplacement du congé maternité de mon ancienne maître de stage. Il s’agit à ma connaissance d’un des seuls cabinets qui remplace une avocate en congé maternité, sans reporter la charge de travail sur le reste de ses équipes.

J’ai ensuite rejoint le cabinet CAYSE Avocats, cabinet de pointe en contentieux commercial et droit des entreprises en difficulté à Lyon. J’y suis restée 6 ans.

Une accumulation de perte de sens et d’épuisements professionnels m’a donné l’opportunité de me questionner sur l’impact que je souhaitais avoir autour de moi. J’ai vécu et surtout observé la souffrance, le mal-être, la perte de sens, l’épuisement et la montée des clivages au sein de la profession d’avocats. J’ai décidé de mettre mes qualités et compétences d’empathie, de discernement des comportements humain, du monde de l’entreprenariat au service des avocats.

J’ai créé HERMINE en avril 2021, cabinet d’accompagnement des avocats. Ma raison d’être est de transformer les avocats en entrepreneurs épanouis : entrepreneurs pour leur permettre de monter en compétence de gestion humaine et stratégique de leur cabinet, et épanouis pour qu’ils puissent exercer leur métier en santé, avec énergie et envie. J’interviens principalement en coaching individuel et collectif, et dans une moindre mesure en conseil, pour aider les avocats à développer leur clientèle, retrouver l’équilibre vie/pro vie perso, retrouver du sens, manager leurs équipes et apprendre à fonctionner en collectif.

Selon vous, comment expliquer que de nombreux avocats abandonnent le barreau après quelques années d’exercices ?

Les causes sont multiples et protéiformes. Si je compile à la fois celles que j’ai vécues et celles que j’entends de mes clients :

  • Besoin de stabilité et d’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle : la charge de travail est trop importante, quel que soit le statut (associé, collaborateur, salarié…), et imprévisible, donc difficilement compatible avec une vie de famille, surtout quand on est une femme.
  • Besoin de respect et d’indépendance : les avocats qui raccrochent la robe se plaignent d’un management inexistant, voire harcelant, une impression de ne pas être entendu ou respecté.
  • Besoin de sens : ils vivent une perte de sens, impression d’œuvrer « du mauvais côté », surtout en droit des affaires : besoin de mettre son énergie dans une mission plus sociale, environnementale, ou simplement plus concrète, et parfois intellectuellement plus stimulante (je pense aux avocats qui font du contentieux de masse ou des affaires très similaires).
  • Besoin de sécurité financière : difficulté à développer une clientèle, difficulté à facturer au prix juste, impression de travailler beaucoup pour gagner peu et payer beaucoup de cotisations.

Depuis 2021, plusieurs évènements ont mis en avant l’existence d’une crise de la justice (notamment le suicide d’une jeune magistrate, l’appel des 3.000, les manifestations des professionnels du droit) due à des mauvaises conditions de travail et une perte de sens. Cette perte de sens concerne-t-elle aussi les avocats ? Ainsi, selon vous, quelles sont les actions qui devraient être mises en place pour lutter contre cette crise ?

Assurément. Là aussi les questions sont complexes et propres à chacun. J’ai compilé chaque cause et chaque proposition de solution ci-dessous, dans une analyse très empirique et subjective :

  • Besoin d’œuvrer pour une cause plus humaine, sociale ou environnementale compte tenu des enjeux actuels, et une impression que le métier d’avocat ne le leur permet pas. Les avocats ont besoin d’apprendre à attirer à eux les clients et les dossiers qui sont alignés à leurs valeurs, pour pouvoir exercer leur métier en œuvrant pour une cause qui leur est chère. Des compétences en développement commercial et en marketing, mais surtout une excellente connaissance de soi, leur permettront de le faire.
  • Besoin de reprendre le contrôle de leur temps et de s’approprier des temps personnels suffisants. Les avocats pédalent dans la semoule, ont l’impression de se battre contre un géant immobile qui leur pourrit la vie. L’organisation actuelle de l’institution judiciaire est telle qu’elle est chronophage à la fois pour ses membres et pour les auxiliaires de justice : organisation des audiences, ampleur des formalités, complexité des solutions technologiques à disposition, rigidité des processus, impossibilité croissante de parler à un être humain au sein des juridictions, délai de procédure. L’augmentation des moyens techniques et surtout humains de la justice est urgente pour faire baisser la pression chez les avocats, l’institution judiciaire et la société en général,
  • Besoin d’harmonie dans les relations et de travailler dans des conditions épanouissantes : il est urgent que les cabinets forment leurs membres au management, et surtout donnent aux collaborateurs la latitude pour s’organiser de manière réellement autonome, apprendre, prendre des initiatives, participer au développement commercial du cabinet, soigner l’ambiance. D’autres environnements de travail proposent ces conditions (sur le papier en tout cas), et les avocats ne veulent plus sacrifier leur vie à travailler dans la douleur, surtout les jeunes. Ils donneront leur pleine capacité et leur pleine énergie s’ils sont épanouis.
  • Besoin de confiance : beaucoup d’avocats que je rencontre vivent leur métier comme une vocation d’aide de l’autre. Le piège de cette vision est de ne pas savoir dire non, donc de prendre tous les dossiers, à des prix bas, dans l’urgence, pour aider. Travailler sur soi, se connaître, renforcer sa confiance pour mieux « choisir ses dossiers », allier facturable pour vivre et pro bono pour la bonne cause, est un premier pas.
  • Besoin d’apaiser les conflits, ce qui dérange certains avocats qui ont l’impression de les attiser, surtout en contentieux. A cet égard, le développement des modes alternatifs de règlement des différends est essentiel, ainsi que la formation des avocats à ces MARD.

Noréa Thomas, fondatrice d’Hermine. Vous pouvez retrouver son profil Linkedin via le lien suivant : https://www.linkedin.com/in/noreathomas/

Publié par Juristes D'avenir

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