Jérôme PAUZAT, magistrat et Président de l’association A.M.O.U.R de la Justice présente tout d’abord son point de vue sur les causes de cette crise de la justice, notamment le fait de traiter la Justice comme une simple administration. Il expose ensuite toutes les actions possibles contre cette crise de la justice telles qu’une action institutionnelle qui vise à réformer la constitution pour que la justice soit consacrée en qualité de pouvoir et qu’elle soit indépendante du pouvoir exécutif.
1) Présentation de votre parcours et de votre profession
Titulaire d’un baccalauréat C (filière scientifique) obtenu en 1994, j’ai ensuite suivi des études de droit au sein de la faculté de droit de Toulon et fréquenté en parallèle le Centre de Ressources en Langue de l’Université de Toulon et du Var qui m’a permis d’obtenir en 1995, le diplome d’anglais “First Certificate Of CAMBRIDGE ».
En 1997, après avoir décroché ma licence de droit, j’ai quitté l’aire toulonnaise pour rejoindre l’Université MONTESQUIEU BORDEAUX IV où j’ai obtenu ma Maîtrise « Carrière Judiciaire et Sciences Criminelles », (mention assez bien).
De 1998 à 2000, je me suis investi dans la préparation du concours d’entrée à l’École Nationale de la Magistrature, d’abord en m’inscrivant auprès de l’Institut d’Études Judiciaires de Bordeaux puis en intégrant l’Institut de Préparation à l’Administration Générale bordelais (dépendant de l’Institut d’Études Politiques de Bordeaux).
Lauréat du concours de la magistrature en 2000, je suis rentré à l’ENM en 2002 (promotion Badinter) après avoir satisfait aux obligations du service militaire en 2001.
J’ai accompli mon stage juridictionnel au sein du Tribunal de Grande Instance de Draguignan en 2003
Je suis officiellement magistrat depuis le 1er septembre 2004.
J’ai un parcours pénaliste dans des petites et moyennes juridictions lorraines. De 2004 à 2009, j’ai officié en qualité de Juge d’application des peines au Tribunal de Grande Instance de Bar-Le-Duc où j’ai en quelque sorte exercé une fonction de « juge placé sur place ».
Outre ma fonction spécialisée de juge d’application des peines en charge du milieu ouvert et de deux établissements pénitentiaires, j’ai beaucoup œuvré pour le service général en assurant les présidences d’audiences correctionnelles à juge unique, de collégiales et de comparutions immédiates, en participant aux assessorats des audiences d’assises et des audiences correctionnelles collégiales.
J’ai également pu exercer en qualité de juge d’instruction en replacement du titulaire lors de ses congés et empêchements. J’ai enfin présidé les audiences sur intérêts civils, et suppléé le juge d’instance de Saint-Mihiel (avant la fermeture de ce tribunal en 2009) en qualité de juge des tutelles et de juge de police.
De 2009 à 2013, j’ai poursuivi ma « fonction de cœur » de juge d’application des Peines au sein du Tribunal de Grande Instance de Nancy, où j’ai eu la charge, entre autres, du nouveau Centre Pénitentiaire crée à Maxéville. Par ailleurs, j’ai reçu l’habilitation pour siéger comme assesseur à la juridiction Inter-régionale Spécialisée, en plus de ma participation au service général comme juge assesseur à la chambre économique et financière du tribunal correctionnel.
D’octobre 2013 à février 2018, j’ai réalisé mon avancement en qualité de Vice-Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance d’Épinal et j’ai eu la chance comme l’honneur d’exercer les fonctions d’avocat général lors de sept procès d’assises.
De février 2018 à décembre 2022, j’ai bénéficié d’un détachement auprès de l’École Nationale de la Magistrature et occupé le poste de Coordonnateur Régional de Formation pour le Grand-Est.
J’étais en charge de la formation initiale et de l’évaluation des magistrats stagiaires sur quatre ressorts de cour d’appel (Metz, Nancy, Colmar et Besançon) ainsi que de la formation continue déconcentrée sur le ressort de la Cour d’Appel de Metz
Depuis janvier 2023, je suis revenu en juridiction et occupe le poste de 1er Vice-Président en charge du service de l’application des peines au sein du Tribunal Judiciaire de Nancy.
Par ailleurs, j’ai créé en janvier 2021 l’association A.M.O.U.R de la Justice que je préside (Association des Magistrats, personnels et usagers de justice Œuvrant pour l’Unité et la Réforme de la Justice), collectif qui a pour but de rassembler toutes celles et ceux qui travaillent autour de la justice ou qui s’y intéressent afin de réfléchir collectivement à un projet de refonte de la justice qui viennent de la base, du terrain.
Dans cet esprit, j’ai co-écrit avec deux amis magistrats et vice-présidents de l’association, Marie BOUGNOUX et Laurent SEBAG, un premier livre intitulé « Manifeste pour une justice humaine et indépendante » aux éditions Enrick B., paru en mai 2022.
Enfin, en lien avec l’Université de Lorraine et avec trois maîtres de conférence des facultés de droit de Nancy et Metz, j’ai créé une préparation publique au concours de la Magistrature qui fait l’objet d’une convention avec les cours d’appel de Nancy, Metz et l’ENM.
2) Depuis 2021, plusieurs évènements ont mis en avant l’existence d’une crise de la justice (notamment le suicide d’une jeune magistrate, l’appel des 3.000 magistrats, les manifestations des professionnels du droit). Pour vous, quelles en sont les causes ?
La cause principale réside dans la volonté des gouvernants successifs français de traiter la Justice comme une simple administration et de ne pas lui accorder les moyens humains et matériels nécessaires pour qu’elle puisse exercer normalement ses missions.
Le pouvoir exécutif en France ne souhaite pas que la justice, considérée comme autorité par notre Constitution, devienne un pouvoir et soit véritablement indépendante.
Au gré des fluctuations politiques et des alternances, l’institution judiciaire a dû absorber d’innombrables réformes à moyen constant, ce qui a concouru à l’épuisement physique et moral des magistrats et fonctionnaires, trop peu nombreux pour absorber des missions toujours plus importantes.
Enfin, la Justice comme d’autres services publics, est victime de l’application du « New Management Public ») savoir l’instauration dans l’administration d’une logique managériale et budgétaire. C’est un non-sens pour la Justice qui ne peut être gérée avec des objectifs de rendement.
3) Cette crise de la justice peut-elle affaiblir le lien de confiance des citoyens en la Justice, en particulier au regard des délais de jugement ?
Oui, c‘est déjà le cas. Bon nombre de magistrats, accablés par une charge de travail intenable et craignant pour leur carrière, ont développé des pratiques dégradées afin d’essayer d’apurer les stocks d’affaires en constante augmentation.
Ils ont rétréci l’espace-temps passé avec le justiciable, diminué la qualité d’écoute de ce dernier, réduit son temps de parole pour accélérer la sortie des décisions. Mais cela ne fonctionne pas, les citoyens attendent une justice moins lente certes, mais veulent avant tout avoir véritablement accès à leur juge, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. D’où la crise de confiance.
4) Pensez-vous que l’augmentation du personnel judiciaire est une réponse suffisante ?
Je pense que l’augmentation des personnels judiciaires est une condition nécessaire mais non suffisante. Il faudrait doubler les effectifs aujourd’hui pour être à la hauteur des standards européens et au rendez-vous d’une justice de qualité et démocratique, apte à garantir l’égalité de traitement entre tous.
Mais pour que cela fonctionne, la justice française doit sortir du giron de l’exécutif et ne plus être considérée comme une simple administration. Cela implique qu’elle soit véritablement indépendante du pouvoir politique et qu’elle dispose d’une autonomie budgétaire via un Conseil Supérieur de la Magistrature rénové et seul garant de l’indépendance des magistrats en France.
5) Quelles sont les autres actions qui devraient être mises en place ?
Je vous renvoie aux propositions de l’association A.M.O.U.R de la Justice et notamment à celles consignées dans l’ouvrage précité « Manifeste pour une justice humaine et indépendante ».
La première action est institutionnelle : il s’agit de réformer la constitution pour que la justice soit consacrée en qualité de pouvoir et soit indépendante du pouvoir exécutif.
Il faut notamment réformer le statut du Parquet et couper le cordon ombilical avec le Ministre de la Justice. Je propose que le Parquet soit dirigé par un Directeur National de l’Action Publique, procureur expérimenté, désigné par le Conseil Supérieur de la Magistrature et dont la nomination devrait être ensuite validée par un vote à la majorité qualifiée des 2/3 du parlement français.
Le pouvoir de nomination et le pouvoir disciplinaire des magistrats du Parquet seraient alignés sur ceux du siège et confiés au Conseil Supérieur de la Magistrature.
Ce dernier serait transformé en Conseil Supérieur de la Justice, seul garant de l’indépendance de la magistrature, et se verrait confié la gestion du budget de la justice, l’organisation et la gestion des ressources humaines des magistrats outre la direction de l’inspection générale de la Justice.
Enfin, la dernière action majeure serait de redonner une « humanité éthique » à notre justice et redonner un vrai sens à l’office du juge. Celui-ci doit être accessible aux justiciables ce qui signifie que l’audience, le débat contradictoire doivent être sanctuarisés au détriment de tous les modes simplifiés de jugement qui contournent le juge.
6) Le plan d’action issu des Etats généraux de la Justice prévoit de favoriser une véritable politique de l’amiable et une justice participative, donc plus rapide et donc plus proche, pour que le justiciable puisse se réapproprier son procès. Qu’en pensez-vous ?
Cette politique de l’amiable est très dangereuse car elle vise en réalité à externaliser l’œuvre de justice et la confier à d’autres personnes que le juge alors que l’une des missions principales du juge, après celle de trancher des litiges, est de concilier les parties.
Encore une fois, ce plan a pour but d’éviter la création de postes de magistrats, jugés trop coûteux et de ne pas renforcer l’autorité judiciaire. La justice participative doit rester la rencontre du juge et du justiciable lors de l’audience.
Confier des missions du juge à des acteurs privés et tenter d’importer en France la politique de l’amiable en vogue dans les pays anglo-saxons recèle un risque majeur de privatisation de notre justice. Et je ne souhaite pas d’une justice à l’anglo-saxonne qui fait la part belle aux plus fortunés et à ceux qui peuvent se payer les meilleurs avocats ou les meilleurs « médiateurs » pour obtenir gain de cause.
La seule politique de l’amiable qui vaille est celle qui reste sous la direction du juge et où l’action du médiateur ou du conciliateur est subordonnée à la décision judiciaire.
Jérôme PAUZAT, magistrat, Président de l’association A.M.O.U.R de la Justice