Manon LEFEBVRE évoque les faibles moyens de la justice, impliquant notamment une justice trop rapide. Elle souligne le manque de la communication et de l’explication de la réalité du traitement judiciaire, alors même qu’ils rendent la justice au nom du peuple français.
1) Présentation de votre parcours et de votre profession
J’ai commencé par des études d’histoire de l’art puis j’ai poursuivi en droit à Paris et Nantes. Ensuite, la première année, j’ai préparé le concours dans une prépa privée et pour ma seconde tentative j’ai préparé le concours à l’IEJ d’Assas à Paris.
Je suis actuellement substitut du Procureur de la république au parquet du Tribunal judiciaire de Lille, à la section des mineurs.
2) Depuis 2021, plusieurs évènements ont mis en avant l’existence d’une crise de la justice (notamment le suicide d’une jeune magistrate, l’appel des 3.000 magistrats, les manifestations des professionnels du droit). Pour vous, quelles en sont les causes ?
Les causes sont multiples mais communes à de nombreux services publics. Le manque de moyen criant alloué à la justice implique que nous rendions une justice trop rapide, parfois déshumanisante. Nous ne prenons plus le temps de faire notre métier tel qu’on nous l’a enseigné. Cette situation créé une souffrance éthique pour celles et ceux qui travaillent pour la justice. Nous sommes peut-être arrivés à un stade où nous ne pouvions plus supporter cette situation et nous avons décidé de l’exprimer. Nous étions plusieurs à ne plus nous retrouver dans l’idée que nous nous faisions de la justice et ce sentiment devenait intolérable. Par ailleurs, je crois que nous devons expliquer aux justiciables, à nous toutes et tous, la réalité du traitement judiciaire en France car nous rendons la justice au nom du peuple français.
3) Cette crise de la justice peut-elle affaiblir le lien de confiance des citoyens en la Justice, en particulier au regard des délais de jugement ?
Bien-sûr que le manque de confiance s’installe. Nos délais sont trop longs c’est une certitude. Mais plus encore, nous nous renfermons. La nouvelle architecture fait que nos palais de justice deviennent des lieux quasiment inaccessibles aux justiciables ou aux collaborateurs de justice. Nous nous renfermons aussi parce que nous n’avons pas le temps de l’ouverture, de la discussion, de l’explication, de la pédagogie, du travail partenarial. Finalement nous finissons par devenir une forme d’administration.
4) Pensez-vous que l’augmentation du personnel judiciaire est une réponse suffisante ?
Pour le moment nous ne voyons pas la couleur des chiffres annoncés. Donc on verra dans quelques années avant de crier victoire. Si l’augmentation des moyens est un élément essentiel pour que la justice se porte mieux, j’espère que cela nous permettra aussi de repenser notre justice et notre fonctionnement. Pour l’instant nous n’avons même pas le temps d’y penser. Les urgences d’abord ! La réponse des moyens n’est pas suffisante mais elle est essentielle.
5) Quelles sont les autres actions qui devraient être mises en place ?
La refonte du statut du parquet est centrale pour que le parquet soit enfin totalement indépendant du pouvoir exécutif. La création d’une véritable police judiciaire, sous la direction de l’autorité judiciaire pour traiter nos procédures. Plus de communication sur la réalité de notre métier. Il y a un milliard de choses à faire pour notre justice.
6) Le plan d’action issu des Etats généraux de la Justice prévoit de favoriser une véritable politique de l’amiable et une justice participative, donc plus rapide et donc plus proche, pour que le justiciable puisse se réapproprier son procès. Qu’en pensez-vous ?
Il faudrait plutôt demander à un collègue du siège pour cette question. Mais pour ma part, il existe déjà des mesures existantes pour favoriser l’amiable mais on ne peut pas forcer les gens à se mettre d’accord. S’ils veulent un juge, on doit pouvoir leur offrir une justice digne de ce nom.
Manon LEFEBVRE