La fragilisation de la Justice, une histoire de coût ? : interview d’un ancien magistrat, aujourd’hui professeur de droit civil

Les grands enjeux du service public de la justice

En ce mois d’avril, c’est au thème de la justice que l’on s’en remet, et cela tout particulièrement afin de sensibiliser aussi bien les étudiants que les professionnels sur les grands enjeux du service public de la justice. 

De fait, ce thème se doit d’être abordé au sein de notre blog en raison de sa fragilisation depuis ces dernières années, notamment à travers une perte de sens des professionnels du droit face aux manques de moyens humains et matériels qui entraînent des conditions de travail délabrées, une augmentation des délais de traitement des dossiers, parfois des reports d’audience, ce qui interroge au niveau du délai raisonnable pourtant consacré et protégé par la Cour européenne des droits de l’homme en son article 6. 

Les différents professionnels interrogés ont essayé de fournir une réponse, et sur une note plus positive, des solutions et des réflexions, dont nous vous laissons la lecture…

Pouvez-vous nous présenter votre parcours et votre profession ?

J’ai effectué mes études juridiques à l’Université de Nancy (aujourd’hui Université de Lorraine) où j’ai soutenu ma thèse de doctorat (« la rétroactivité dans le droit des contrats » parue aux Presses universitaires d’Aix-Marseille, collection droit des affaires). D’abord chargé d’enseignements, j’ai été successivement nommé auditeur de justice à l’ecole nationale de la magistrature puis magistrat de l’ordre judiciaire, avant de réussir le concours de poste de maître de conférences des universités.

Depuis 2021, plusieurs évènements ont mis en avant l’existence d’une crise de la justice (notamment le suicide d’une jeune magistrate, l’appel des 3.000, les manifestations des professionnels du droit). Pour vous, quelles en sont les causes ?

La cause principale est bien identifiée de tous les observateurs français comme étrangers : le sous financement structurel du service public de la justice, parent pauvre de la République depuis plusieurs décennies. L’indigence est telle que les magistrats sont parfois invités – sous la pression du moment et la nécessité procédurale – de pourvoir sur leur temps personnel, voire sur leurs deniers personnels pour faire fonctionner le service…
En somme, avant même de renvoyer aux questionnements très pertinents des rapports inégaux de la justice française (laquelle n’est pas un « pouvoir » mais une simple « autorité ») avec le pouvoir exécutif notamment, la question première de l’indépendance budgétaire reste posée…

Selon-vous, cette crise de la justice peut-elle affaiblir le lien de confiance des citoyens en la Justice, en particulier au regard des délais de jugement ?

Un travail en juridiction paralysé dans son exécution en raison de difficultés structurelles de fonctionnement ne peut que rejaillir sur la qualité de l’oeuvre de justice elle-même : médiocre motivation des décisions, délais non raisonnables…
A cela s’ajoute une inflation législative qui ne peut que compliquer l’office du juge … lequel n’est pourtant là que pour dire le droit, c’est à dire appliquer la loi.

Pensez-vous que l’augmentation du personnel judiciaire est une réponse suffisante ?

C’est en tout cas une première réponse indispensable ou, si l’on préfère une indispensable réponse première. Un doute : de telles annonces se sont révélées, par suite, comme non suivies d’effets budgétaires ces dernières années. Ce qui renforce le découragement du corps judiciaire, même parmi ses éléments les plus impliqués (chefs de juridiction ou procureurs).

Quelles sont les autres actions qui devraient être mises en place de votre point de vue ?

Le législateur et l’exécutif doivent associer aux normes nouvelles qu’ils entendent légitimement promouvoir, les professionnels du droit afin – au minimum – d’en mesurer l’impact réel sur les justiciables. Les études d’impacte d’aujourd’hui manquent trop souvent de bon sens pratique…

Plusieurs réformes d’importances pour le quotidien du justiciable (Droit de la responsabilité ou Procédure pénale, par exemple) sont aujourd’hui élaborées par les services de la chancellerie avec une discrétion qui laisse augurer, une fois encore, des impossibilités ou des mal pensés…

Le plan d’action issu des Etats généraux de la Justice prévoit de favoriser une véritable politique de l’amiable et une justice participative, donc plus rapide et donc plus proche, pour que le justiciable puisse se réapproprier son procès. Qu’en pensez-vous ?

C’est surtout un effacement du régalien… et une justice à moindre coût !

Publié par Juristes D'avenir

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