L’examen d’accès au Centre Régional de Formation Professionnelle des Avocats (CRFPA) est la voie principale pour accéder à la profession d’avocat en France. Cependant, il est intéressant de savoir qu’en obtenant le titre d’avocat au sein d’un pays de l’Union européenne, il existe la possibilité de pouvoir faire homologuer son titre en France et ainsi devenir avocat en utilisant une autre voie que celle impliquant le passage par ce traditionnel examen d’entrée à une Ecole d’avocats française.
Grace à ses diverses mobilités, Monsieur Pierre-Jean Thil a su acquérir des connaissances transversales et des compétences grandement valorisables dans le monde du travail. Il est également parvenu à devenir avocat français et espagnol. Au travers de son témoignage, il nous évoque les différentes étapes de son parcours, enrichi de plusieurs mobilités, et nous indique notamment comment il est devenu avocat sans avoir eu à passer par le fameux “CRFPA”.

1. Une présentation de votre parcours et de vos activités professionnelles actuelles.
Depuis mon plus jeune âge, l’étude des langues et les mobilités offertes dans le secondaire ont constitué pour moi des activités enrichissantes qui ont motivé mon souhait de poursuivre des études universitaires orientées vers l’international. Ma découverte du droit a été fortuite, je me dirigeais en effet vers des études scientifiques après un Bac S. A la fin de mon année de première, lors d’une journée de découverte de l’Université Toulouse Capitole, j’ai eu la chance de rencontrer des personnes travaillant au sein du Service d’Orientation Professionnelle qui ont su cerner mes centres d’intérêts et mes attentes. Elles m’ont alors proposé un nouveau diplôme qui venait d’être ouvert : le double diplôme en droit franco-espagnol se déroulant sur quatre années entre Toulouse et Barcelone.
Désireux de poursuivre cette formation, je me suis engagé dans ce double diplôme qui m’a permis de me spécialiser en droit international, européen et comparé. Après quatre années académiques enrichissantes, j’ai poursuivi mes études par un double Master 2 entre l’Université Autonome de Barcelone et l’Université de Toulouse Capitole avec pour objectif une spécialisation sur l’Espace de Liberté de Sécurité et de Justice. J’ai en parallèle effectué le diplôme de la European School of Law qui m’a permis de recevoir des enseignements approfondis en droit, histoire et économie européenne ainsi qu’en matière de méthodologie de gestion de projets à dimension européenne.
Passionné par la recherche juridique depuis ma deuxième année de droit, j’ai ensuite décidé de débuter un doctorat en droit privé européen sous le régime de la cotutelle internationale de thèse tout en préparant le barreau espagnol. Après l’obtention du Master en Abogacía et des barreaux français et espagnols, j’ai décidé de continuer ma spécialisation par un double diplôme en droit et affaires transatlantiques proposé par le Collège d’Europe à Bruges et la Fletcher School of Law and Diplomacy à Boston.
Enfin, dans le cadre de mon doctorat que je mène entre la France et l’Espagne au sein des deux mêmes universités dans lesquelles j’ai débuté mes études, je suis aujourd’hui chargé d’enseignement à l’Université Toulouse Capitole et engagé dans des projets ayant trait à la professionnalisation des études juridiques et à l’internationalisation de la recherche.
2. Quel(s) type(s) de mobilité(s) avez-vous eu l’occasion de réaliser au cours de vos études (Erasmus, Double diplôme, licence bilingue, stages etc.)?
Dans le cadre de mes études universitaires j’ai eu l’occasion d’étudier dans quatre pays grâce à des doubles diplômes qui ont été pour moi complémentaires les uns des autres. Après une immersion dans le système juridique espagnol, j’ai eu l’occasion d’étudier en Belgique et aux Etats-Unis, ce qui me donne aujourd’hui la possibilité d’appréhender le droit français mais aussi le droit européen sous un angle original me permettant d’en comprendre mieux sa spécificité.
Je recommande toutefois les autres types de parcours car une immersion dans un système étranger constitue toujours une plus-value sur un CV. Cependant, l’exigence d’un double diplôme n’est pas forcément ce qui doit être recherché, un diplôme dans État étranger n’est pas nécessairement la voie la plus aisée afin de partir étudier à l’étranger. Il doit y avoir à mon avis une importante réflexion en amont sur l’utilité d’un tel programme d’études vis-à-vis de l’objectif professionnel visé par un étudiant.
3. Qu’est ce vous ont apporté ces différentes mobilités (tant sur le plan personnel qu’au niveau des opportunités professionnelles ou universitaires) ?
Les doubles diplômes ont été pour moi une source d’inspiration tant personnelle que professionnelle. Tout d’abord, d’un point de vue des connaissances juridiques, la possibilité de découvrir le fonctionnement d’un système juridique étranger constitue pour un juriste qui souhaite travailler dans les affaires internationales ou européennes une prérequis nécessaire. Au-delà des connaissances purement théoriques, l’apport méthodologique est conséquent car il oblige un juriste à comprendre les spécificités juridiques locales par la comparaison avec ses les standards de son système juridique national. Un double diplôme, bien plus qu’une simple expérience Erasmus qui permet d’en découvrir seulement les bases, pousse un étudiant à développer son agilité intellectuelle, son sens critique et sa capacité d’adaptation. Il s’agit de compétences qui sont des facteurs d’employabilité importants. De plus, dans certains pays, les étudiants en double diplôme peuvent également réaliser des stages en tant que matière à part entière d’un semestre universitaire, ce qui est à mon avis une opportunité intéressante car il n’est pas aisé d’effectuer des stages à l’étranger en raison des coûts financiers que cela implique.
Par ailleurs, un double diplôme permet de découvrir des nouvelles cultures, de nouvelles traditions et d’améliorer bien entendu ses compétences linguistiques. La connaissance des us et coutumes locaux constitue selon moi un objectif central d’une mobilité car cela va permettre de pleinement s’intégrer dans la société et de se constituer un réseau de contact et ainsi de développer éventuellement une appétence pour un travail dans un environnement multiculturel et multilingue.
Il faut toutefois être conscient qu’un double parcours voire une expérience de mobilité simple peut constituer un frein dans la poursuite de certaines études où une maîtrise technique du droit interne est exigée. Je pense notamment au master en droit notarial ou en droit privé fondamental. Il est aussi souvent reproché aux étudiants en mobilité de ne pas disposer de connaissances complètes des systèmes de droit étudiés ce qui est pour moi un faux sujet. En effet, un juriste qui a fait toutes ses études dans seul pays ne sera pas un « savant » dans toutes les branches du droit de sa discipline, il aura certes des connaissances plus étendues en droit français mais il ne disposera des mêmes compétences qu’un étudiant au profil international. Cette remarque est souvent faite lors des entretiens en master ou en stage, il faut donc s’y préparer en mettant en avant les compétences développées grâce à la mobilité.
4. Quelles ont été les difficultés que vous avez rencontré et comment avez-vous réussi à les surmonter?
Lorsque l’on souhaite se lancer dans un parcours universitaire impliquant une mobilité il faut à mon avis être conscient des charges administratives qui vont peser sur nos épaules. Il faut d’abord avoir à l’esprit que chaque système universitaire dispose de ses propres règles et les compétences des services peuvent différer par rapport à ce que l’on a pu découvrir dans notre université d’origine. Il faut donc s’informer en amont pour trouver le bon interlocuteur en cas de problème.
Je ne pense pas qu’il faille utiliser le terme de difficultés, en effet, les Universités par le biais des services des relations internationales où de la composante en charge des mobilités accompagnent les étudiants dans leur démarche et facilitent grandement l’accomplissement de formalités d’inscription et d’obtention des diplômes. Lorsque j’ai débuté, la European School of Law n’existait pas encore et les programmes de doubles diplômes étaient en cours de construction. J’ai donc dû faire face à certains problèmes lors de mon inscription sur place en Espagne, mais la bienveillance des équipes administratives aide grandement dans les démarches.
Je souhaiterais ainsi donner quelques conseils :
Tout d’abord, je pense qu’il est important de bien identifier les interlocuteurs en charge des programmes de mobilité afin de s’informer en amont.
Ensuite, faut essayer de participer à toutes les réunions sur la mobilité qui sont proposées par notre université d’origine. Des informations essentielles y sont communiquées et notamment en matière d’obtention de financements. Il est souvent possible d’obtenir plusieurs types de financements : Bourse du Crous, Bourse de mobilité du Ministère, Bourse Erasmus+…. Mais il faut être attentif aux délais.
Pour finir, les étudiants des années supérieures disposent souvent de conseils précieux, il ne faut pas hésiter à les contacter le plus tôt possible.
5. J’ai pu voir qu’à la suite de votre double diplôme franco-espagnol vous avez obtenu le titre d’avocat en passant par un « Master en Abogacía », donc sans passer par le CRFPA et une école d’avocats française. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce Master, notamment sur sa durée et quelles sont les épreuves que vous avez dû passer pour le valider et leur difficulté ?
Dans le système espagnol une réforme est intervenue il y a une quinzaine d’années afin de modifier la voie d’accès à la profession d’avocat. Il est maintenant nécessaire d’effectuer un master spécialisé qui vient préparer au passage de l’examen d’État. Ce master d’une durée d’un an et demi est construit en deux temps. D’une part, pendant une année, les universités sont dans l’obligation de faire réviser aux étudiant les bases du droit espagnol bien qu’il soit possible d’orienter les enseignements vers une spécialité (droit administratif, droit pénal, droit civil, droit des affaires…). Les matières ont normalement une forte dimension pratique grâce aux exercices qui sont proposés (introduction à la rédaction d’actes, de conclusions, de consultations…) et à l’intervention de professionnels. A l’issue de la première année, une période de stage de six mois est obligatoire afin de valider le diplôme.
L’originalité du système espagnol est que l’examen d’État commence lors du premier jour du master. En effet, un système de contrôle continu a été mis en place afin de valoriser la formation préparatoire et de rendre directement employable les étudiants lors de l’obtention de leur titre d’avocat. La note finale de l’examen d’accès sera ainsi composée de la moyenne obtenue au master et de la note de l’Examen d’État. L’examen d’État à proprement dit est un QCM composé de deux parties. La première partie contient cinquante questions de déontologie et la deuxième est dédiée aux questions de spécialité (procédure pénale, civile, contentieux administratif…).
J’ai personnellement choisi de passer le barreau en Espagne car le système me paraissait plus humain et professionnalisant. En effet, le master de préparation constitue en tout cas d’un point de vue formel, une réplique des écoles d’avocats à la française. Les avocats espagnols se forment avant de passer l’examen final, ils sont donc employables directement après l’obtention des résultats. Le CRFPA ne se focalise que sur des connaissances théoriques, au contraire du master qui vient également évaluer les compétences techniques d’un étudiant après lui avoir enseigné la manière de faire. La voie d’accès espagnole est aussi plus courte et moins chère que la française mais n’en reste pas moins compliquée. L’examen final bien que prenant la forme d’un QCM s’est grandement complexifié ces dernières années et a vu son programme de révision étoffé.
6. Pouvez-vous nous expliquer quelle a été par la suite la procédure pour passer l’équivalence en France et pouvoir vous inscrire dans un barreau français ?
Un avocat étranger disposant d’un titre dans un État membre de l’Union européenne et d’une formation universitaire en France peut engager une procédure d’équivalence de titre afin d’obtenir le CAPA. Il s’agit de la procédure de l’article 99 qui doit être initiée auprès du Conseil National des Barreaux qui dispose de la compétence pour analyser le bien fondé des demandes d’équivalence. La procédure administrative est assez lourde car il faut fournir de nombreux documents (diplômes, relevés de notes traduits par un traducteur assermenté auprès d’une Cour d’appel, justificatif d’identité…) et notamment un mémoire expliquant en quoi on dispose des connaissances suffisantes en droit français pour être admis à passer l’examen d’équivalence. Si un avis favorable est rendu par le CNB, l’avocat étranger doit s’inscrire dans l’une des deux écoles d’avocats habilitée à organiser les examens d’équivalence à savoir l’EFB à Paris et l’HEDAC à Versailles. En fonction des pièces du dossier, le CNB va déterminer les épreuves que le candidat doit passer. De manière générale, les avocats européens ne sont invités à passer qu’un examen de déontologie qui prend la forme d’une épreuve orale de vingt minutes comme celle organisée pour le CAPA. L’exigence est la même que pour étudiants français et les questions peuvent porter sur l’ensemble du droit de la déontologie français et des comparaisons peuvent aussi être demandées avec le système juridique d’origine du candidat. Il faut donc bien la préparer en amont car cette procédure est couteuse en termes de temps mais également financièrement, il faut compter environ 800 euros pour l’inscription, 300 euros pour la formation que propose souvent les deux écoles pour la déontologie et enfin environ 500 euros pour les frais de traduction.
7. Il y a-t-il un point en relation avec cette thématique de la mobilité étudiante que vous n’avez pas eu l’occasion d’aborder à travers les questions mais que vous souhaiteriez évoquer ?
Un point que l’on néglige souvent lorsque l’on souhaite s’engager dans des études ayant une composante internationale est que cela se prépare dès le lycée voire le collège. Il faut en effet porter une attention particulière à l’étude des langues et ne pas hésiter à s’engager dans des associations et projets qui proposent de réaliser des expériences à l’étranger, des simulations des institutions européennes ou des Nations-Unies. Cela constituera un atout important sur le CV et permettra de se distinguer lors des entretiens. La concurrence est rude afin d’obtenir une place dans un double diplôme.
Propos recueillis par Lisa-Marie Rodriguez