Justice et trouble mental : le point de vue de Maître Julien Paris.

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Après un baccalauréat, je me suis tourné vers le Droit. J’ai réalisé tout mon cursus universitaire à l’Université Grenoble Alpes en me focalisant sur la thématique de la privation de liberté, notamment des personnes atteintes d’un trouble mental. Après un master 2 en Droits de l’Homme, j’ai poursuivi mon cursus en soutenant une thèse portant sur « le traitement juridique du trouble mental. Essai sur les rapports entre droit et psychiatrie ». Par la suite, souhaitant porter la parole des malades – qui en sont souvent privés – j’ai opté pour la profession d’avocat. 

1. Pouvez-vous définir le trouble mental ?

Le trouble mental est, par nature, un élément relevant du champ médical. La psychiatrie va définir le trouble mental comme un ensemble de troubles regroupant des symptômes variés affectant la pensée, le comportement, la relation à autrui… Il est possible de retrouver des définitions précises du « trouble mental » dans des manuels de référence comme le DSM (livre de référence utilisé en psychiatrie). La psychiatrie aura pour mission de diagnostiquer, traiter ou même expertiser. Et c’est sur ce dernier point que le droit et la psychiatrie peuvent, notamment, se rejoindre.

Le droit, en tant que science sociale et organisateur des relations entre les citoyens va appréhender le trouble mental dans divers domaines. Au civil, il pourra se pencher sur le cas d’une personne dont les facultés mentales sont altérées et des mécanismes comme la tutelle ou la curatelle pourront être mis en place pour l’assister dans sa vie quotidienne. Au pénal, il s’agira d’apprécier le discernement d’une personne. En tant que victime, l’existence d’un trouble pourra justifier une circonstance aggravante. En tant qu’auteur, il pourra justifier une déclaration d’irresponsabilité pénale. C’est sans doute dans ce domaine que droit et psychiatrie entretiennent les liens les plus médiatiques et importants sur le plan de la défense des personnes atteintes d’un trouble mental. Dans ce domaine, le trouble mental est appréhendé par les effets qu’il peut avoir sur le discernement. Ainsi, il s’agira de se replacer aux moments des faits reprochés et d’établir si la personne était atteinte d’un trouble ayant « altéré » ou « aboli » son discernement. 

L’article 122-1 du Code de pénal prévoit en ce sens que « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable. Toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. Si est encourue une peine privative de liberté, celle-ci est réduite du tiers ou, en cas de crime puni de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à perpétuité, est ramenée à trente ans. La juridiction peut toutefois, par une décision spécialement motivée en matière correctionnelle, décider de ne pas appliquer cette diminution de peine. Lorsque, après avis médical, la juridiction considère que la nature du trouble le justifie, elle s’assure que la peine prononcée permette que le condamné fasse l’objet de soins adaptés à son état. »

2. Pouvez-vous expliquer ce qu’est l’irresponsabilité pénale des malades mentaux ? 

L’irresponsabilité pénale est l’application de l’article 122-1 du Code pénal abordé plus haut. Il s’agit de l’application d’un principe simple selon lequel une personne ne peut être punie si elle n’avait pas la pleine conscience de ses actes. 

Ce principe n’est pas nouveau et se trouve affirmé dès 1810 dans le premier Code pénal. Si des tentatives de « pénalisation de la maladie mentale » ont pu exister, le principe demeure, malgré un affaiblissement. Avant 1994, l’existence d’une « démence » venait abolir les crimes et délits. Depuis 1994 et la réforme du Code pénal, la notion de « trouble psychique » remplace celle de « démence » et s’applique désormais la dichotomie entre « abolition » et « altération » et les conséquences prévues par l’article 122-1 du Code pénal. 

3. Selon-vous, la prison est-elle compatible avec le trouble mental ?

On observe un phénomène de « carcéralisation » de la maladie mentale. Ce phénomène peut être attribué à la baisse des déclarations d’irresponsabilité pénale depuis la réforme de 1994. Elle se retrouve aussi à travers un populisme pénal où le citoyen ne comprend pas (ou plus) le principe même de l’irresponsabilité pénale. Ce principe peut être perçu comme une faveur et ce discours a pu être porté par certains responsables politiques à l’occasion d’affaires médiatiques. Enfin, la carcéralisation du trouble mental peut également s’expliquer par phénomène d’appel d’air. 

Sous couvert d’humanité et d’accès aux soins, se sont multipliées les structures propres à accueillir les malades en détention. Aujourd’hui, de nombreux détenus présentent des troubles mentaux en détention et sont accueillis au sein du service médico-psychologique régional (SMPR) que l’on trouve dans certains établissements pénitentiaires. Il s’agit d’unités en lien avec les établissements de santé à l’extérieur des murs, d’unités de consultations ou encore d’unités de traitement de la toxicomanie. 

À ces SMPR, s’ajoutent également les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA). Les UHSA, comme leur nom l’indique, sont « spécialement aménagées » pour la détention des personnes atteintes d’un trouble mental. Les patients-détenus peuvent y être admis sans leur consentement. Il n’est pas rare d’entendre parler « d’hôpital dans la prison » lorsque l’on évoque les UHSA. 

Il est possible de voir des avancées dans la multiplication de ces structures où, désormais, les malades peuvent être soignés. D’autres y verront l’opportunité d’incarcérer des malades en s’assurant de l’existence de services dédiés.

4. Quel est le poids des expertises des médecins psychiatres lors de procès impliquant des troubles mentaux ?

L’expertise a un poids conséquent. Il s’agira pour un psychiatre pris en sa qualité d’expert de déclarer responsable ou non une personne mise en cause. Intervenant en tant que « sachant », le poids de son expertise est déterminant.

Toutefois, l’expert n’est pas un magistrat et ne sanctionne qui que ce soit. Il revient à l’expert de circonscrire un champ à l’intérieur duquel la justice ne peut pénétrer et où le soin doit primer sur la sanction. Entre magistrats et expert les rôles sont clairs. Au juge revient la décision finale et l’expert le guide dans cette dernière. 

Cependant, il peut arriver que l’expert s’écarte de son discours scientifique pour commenter les faits et il n’est pas inenvisageable de penser que les experts influencent largement la décision finale ne serait-ce qu’à raison de la position de sachant. 

Après tout, c’est pour cela que les « gens de justice » font appel aux « hommes de l’art » que ce sont les psychiatres.

5. Pensez-vous que les professionnels du droit et de la justice sont suffisamment formés pour prendre en considération correctement le trouble mental dans une procédure ? 

Il n’existe pas de formation juridique propre au trouble mental. C’est un objet de la médecine et, à ce titre, ce sont les étudiants en médecine qui sont véritablement formés à cette thématique. 

Toutefois, avocats et magistrats reçoivent régulièrement des formations sur les thématiques du trouble mental. Les avocats et magistrats qui pratiquent le droit pénal sont sans doute davantage sensibilisés à ces questions. 

C’est également le cas des Juges des libertés et de la détention qui, depuis la réforme des hospitalisations sans consentement de 2011, sont amenés à statuer sur la légalité des hospitalisations contraintes, et cela de manière systématique dans un délai de 12 jours. 

On observe ici une judiciarisation du trouble mental où, désormais, le Juge valide ou prononce la mainlevée d’une hospitalisation contrainte. Cela permet au malade de faire entendre sa voix et à l’avocat de soulever des difficultés procédurales. Il s’agit là d’une avancée majeure pour laquelle les professionnels du droit sont formés et attachés au respect des libertés fondamentales du malade. 

6. Selon vous, existe-t-il des lacunes dans la prise en charge du trouble mental par la justice ?

Les professionnels du droit sont soucieux du sort des personnes atteintes d’un trouble mental. Malgré la carcéralisation du trouble mental évoquée plus haut, les professionnels dans leur grande majorité abordent cette thématique avec sérieux, compétence et humanité. Finalement, le risque majeur est d’assimiler le crime à la folie. Or « l’acte fou » n’est que très rarement « l’acte d’un fou ». Il faut être vigilant et s’interroger en permanence sur nos stéréotypes de la maladie mentale. 

Lien de la thèse de Maître Paris : “Le traitement juridique du trouble mental. Essai sur les rapports entre Droit et psychiatrie”  https://theses.hal.science/tel-02127882

Tableau de Charles-Louis Muller “Pinel faisant enlever les fers aux aliénés de Bicêtre” illustrant le Docteur Pinel qui ordonne que l’on enlève les chaînes aux malades mentaux. 

Propos recueillis par Youna Meudec.

Publié par Juristes D'avenir

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