L’environnement et le droit :le témoignage de Charlotte FRANCO, juriste en droit de l’environnement

• Concrètement à quoi s’expose-t-on à enfreindre le droit de l’environnement ?

Tout dépend du domaine, mais de manière générale, les atteintes portées à l’environnement sont encadrées juridiquement par des répressions d’ordre civil et pénal. En matière de répression civile, la notion de « préjudice écologique » vise à réprimer les « atteintes non négligeables portées aux éléments et aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement » (Art 1347 C.civ). En cas d’atteinte, la réparation de ce préjudice est en prioritéune réparation en nature qui consiste en la remise en état du milieu naturel affecté. Lorsque la réparation en nature n’est pas envisageable, une évaluation monétaire du préjudice écologique conduit à tenter de le réparer par des dommages et intérêts mis à la charge du responsable et affectés à une remise en état.

En matière pénale, le principe du pollueur-payeur contraint les opérateurs économiques à prendre en compte les externalités négatives de leur activité sur l’environnement et à assumer la charge financière des atteintes qui en résultent. Tous les frais résultants des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur (Art L. 110-1 Code de l’environnement). Pour grossir les traits, ne pas respecter le droit de l’environnement conduit donc globalement à assumer une charge financière des atteintes portées. 

• Ces sanctions sont-elles effectives et le cas échéant, sont-elles efficaces ? 

 

Malheureusement à mon sens, dans les nombreuses hypothèses de destructions irréversibles d’un milieu naturel, la réparation en nature est très difficile à mettre en œuvre. Un plan de réparation en nature scientifique,étayé et crédible n’est pas nécessairement simple à réaliser, ce qui en limite le champ d’application. Leprincipe du pollueur-payeur a ses limites également, dans la mesure où les entreprises demeurent libres d’assumer la charge financière de leur pollution, en se contentant de payer des taxes, plutôt que de mettre en place une réelle politique de réduction de ces émissions.

• Quelle autorité est chargée de veiller au respect du droit de l’environnement ?

Il n’incombe pas à une seule autorité de veiller au respect du droit de l’environnement. Tout dépend en réalité de la démarche susceptible de causer un trouble à l’environnement. Certains projets – de planification urbaine par exemple – sont soumis à autorisation environnementale afin d’identifier leurs potentiels impacts sur l’environnement, dont l’évaluation dépend de l’autorité environnementale représentée tout d’abord par le Ministère de la transition écologique mais également – à l’échelle locale – par les missions régionales d’autorité environnementale et les DRIEETS.

• Une décision récente rendue en matière de droit environnemental qui a fait sensation ? 

 

Je dirais que l’arrêt du Conseil d’État du 19 novembre 2020, Commune de Grande-Synthe (n° 427301), plus connu sous la dénomination médiatique « l’affaire du siècle » a fait son petit effet ! 

C’est une sorte de « grand procès climatique » contre l’État français engagé en 2018 par quatre associations dans lequel le Conseil d’État a reconnu pour la première fois une faute de l’État français pour inaction en matière climatique. Il avait jugé recevable la requête de la commune littorale de Grande-Synthe – très exposée aux effets du changement climatique – et demandé au gouvernement de justifier, dans un délai très court, son refus de prendre des mesures propres à assurer le respect de sa trajectoire politique en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030. Il s’agit d’une décision importante s’agissant de la faute imputable à l’État mais dont les effets quant à la réparation effective du préjudice environnemental subis sont discutables à mon sens. Les ONG à l’origine du pourvoi estiment encore aujourd’hui que le gouvernement n’a pas pris toutes les mesures nécessaires pour se conformer au jugement mais également, il peut paraitre regrettable que les mesures utiles à faire cesser les troubles n’aient pas été détaillées et qu’aucune astreinte ne soit prononcée à la hauteur de la faute reconnue pour le moment à ma connaissance.

• Quelles sont les problématiques environnementales que vous traitez le plus souvent ?

Des problématiques environnementales très larges en réalité ! J’accompagne notamment des entreprises gérant des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) dans le suivi de leur conformitérèglementaire, par rapport à leurs arrêtés préfectoraux édictant toutes les prescriptions propres à assurer laprotection de l’environnement (pollution des sols, de l’air, émissions industrielles, de GES …). J’assiste également des entreprises dans la réalisation de leurs analyses environnementales afin d’identifier leurs impacts sur l’environnement en matière de climat, urbanisme, hydrologie, faune/ flore … et de manière à mettre en place des moyens de maîtrise des impacts potentiels identifiés.

• Faut-il être un grand militant de la cause environnementale et être sensible à la protection de l’environnement pour être un bon juriste/ avocat dans ce domaine ?

Je pense que non, il ne faut pas nécessairement être un « grand » militant de la cause environnementale, ni même un « militant » pour être un bon juriste ou avocat dans le domaine. L’environnement ne doit pas être seulement le sujet du militantisme à mon sens puisqu’il concerne tout le monde. En revanche, je pense qu’il faut savoir être polyvalent, s’intéresser à l’environnement dans son aspect scientifique et savoir travailler en collaboration avec des non-juristes sur des sujets qui sortent du seul cadre réglementaire. Mais évidemment, un fort intérêt pour le sujet est fondamental pour devenir un bon juriste / avocat, mais comme n’importe quelle discipline selon moi.

• Quelle est votre plus belle expérience professionnelle en droit de l’environnement ayant démontré l’intérêt / importance de cette profession ?

Sans parler d’une expérience en particulier, je dirais que les formations de sensibilisation à la protection de l’environnement et au droit de l’environnement que j’anime dans le cadre de mes fonctions sont toujours un espace d’échange très enrichissant, permettant d’instaurer un dialogue et de faire naître – ou consolider – des réflexions sur des sujets importants qui doivent être davantage abordés dans tout type d’entreprises.

• Selon vous, faudrait-il accorder une personnalité juridique à la nature ?

Cette question est complexe, ou du moins très discutée. Juridiquement parlant, attribuer la personnalité juridique à un fleuve ou un site naturel par exemple est envisageable, à l’instar d’une entreprise ou d’une association. Des pays ont d’ailleurs déjà mis en place ce dispositif juridique. En France, celui-ci s’était déjà traduit par des déclarations visant à conférer des droits au fleuve Têt notamment, dans les Pyrénées orientales. Certains défendent que cette attribution permettrait de pallier l’ineffectivité de l’état actuel du droit de l’environnement. D’autres pensent que le renforcementdes dispositions en droit de l’environnement existantesest un levier plus pertinent, utile et efficace.

Publié par Juristes D'avenir

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