À l’heure de la transition écologique et des questions environnementales émergentes, le droit a un rôle évident à jouer dans cette lutte de protection de l’environnement. Découvrez comment, dans l’ère du temps, se concilient droit et environnement, à travers l’expertise d’une avocate au barreau de Paris, spécialisée en droit de l’environnement.
Parcours et présentation

J’ai étudié à l’université Paris X Nanterre puis j’ai intégré l’HEDAC. Après l’obtention de mon CAPA en 2012, j’ai pris une année sabbatique à Londres. La ville m’a tellement plu que j’ai décidé d’y rester pour faire un LLM en droit international des affaires à l’université Queen Mary. Après mon LLM, j’ai eu l’opportunité de rester travailler à Londres pour Amarenco Solar dans le domaine des énergies renouvelables.
Au bout de deux ans, j’ai décidé de tout quitter pour partir voyager six mois en sac à dos. A mon retour de voyage, le Brexit venait de commencer et j’ai donc dû rentrer en France. J’ai trouvé une collaboration dans un cabinet anglo-saxon en 2018 et c’est à ce moment là que j’ai (enfin) prêté serment.
Puis j’ai rejoint Notre Affaire à Tous en tant que bénévole en octobre 2018, juste avant le lancement de l’Affaire du Siècle. Je suis aujourd’hui référente du groupe “Droits de la Nature” et, depuis 2019, je siège également au conseil d’administration de l’association.
Récemment, après échanges avec la Bâtonnière, j’ai créé une commission “Droits de la Nature” au barreau de Paris que je codirige avec ma consoeur Marine Boissier-Defrocourt.
- Quels sont les objectifs que vous poursuivez à travers la création de la Commission “Droits de la nature”
Cette commission a pour objectif de former les avocats à cette nouvelle branche du droit émergente encore trop peu connue, voire ignorée ou incomprise, par beaucoup de confrères et de juristes en général.
Cette commission aspire également à être un lieu d’échanges et de réflexions pluridisciplinaires permettant de débattre sur la nécessité de reconnaître les droits de la nature, de réfléchir aux possibles modalités de leur mise en œuvre et de s’interroger sur les enjeux qui en résultent. Les formations proposées combineront une approche théorique et une approche pratique avec des études de cas de reconnaissance de droits à des entités naturelles dans différents pays.
2. Utilisez-vous les droits de l’Homme comme le droit à la vie, l’accès à l’information etc… pour plaider dans des affaires où la protection de l’environnement est en jeu ?
L’argumentaire des droits humains est de plus en plus invoqué par les requérants dans les contentieux climatiques.
Certains universitaires anglo-saxons parlent de “virage des droits” à propos de cette nouvelle génération de procès qui invoquent les droits humains.
Dans l’Affaire Urgenda aux Pays-Bas, qui a influencé d’autres recours en Europe comme l’Affaire du Siècle, l’arrêt de 2019 rendu par la Cour suprême accentue le lien entre changement climatique et protection des droits de l’homme. La Cour a retenu en particulier que les Pays-Bas ont agi illégalement, en violation des articles 2 (droit à la vie) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme (ConvEDH), qui consacrent un devoir de protection selon lequel l’État doit respecter un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 25 % d’ici fin 2020.
Dans le recours l’Affaire du Siècle lancé par Notre Affaire à Tous, Greenpeace France, Oxfam et la FNH, ce sont également les articles 2 et 8 de la ConvEDH qui ont été soulevés. Mais cet argumentaire a été écarté par le juge qui a estimé suffisant le raisonnement sur le caractère contraignant des objectifs climatiques qui découlent du code de l’énergie interprétés au regard de l’Accord de Paris.
Pour la Convention européennes des droits de l’homme, ce sont donc en particulier les articles 2 et 8 précités, mais aussi ses articles 11 (liberté d’expression) et 14 (non-discrimination) qui sont mobilisés devant les juridictions nationales, avec plus ou moins de succès.
3. Concrètement à quoi s’expose t-on à enfreindre une règle du droit de l’environnement ?
A des sanctions qui peuvent être administratives ou pénales. Dans le domaine des installations classées, les sanctions administratives peuvent être la consignation, les travaux d’office, la suspension du fonctionnement de l’installation, l’amende et l’astreinte. La fermeture de l’installation constitue la sanction administrative la plus grave.
En matière pénale, à côté d’une peine d’amende ou d’emprisonnement, il existe des alternatives aux poursuites telles que la transaction environnementale et la convention judiciaire d’intérêt public environnementale. Ce sont bien souvent ces mesures alternatives qui sont privilégiées en cas de poursuite pénale, ce qui ne permet pas de répondre au sentiment d’impunité qui domine parfois pour la société civile.
Enfin, la responsabilité civile délictuelle d’un exploitant peut également être mise en jeu. Elle permet aux victimes d’un dommage causé par un accident industriel de voir réparé le préjudice subi par l’octroi de dommages et intérêts.
4. Les sanctions sont-elles effectives, et le cas échéant, sont elles efficaces ?
Dans le rapport du groupe de travail relatif au droit pénal de l’environnement présidé par François Molins, le manque d’efficacité et d’effectivité du droit de l’environnement est rappelé, ainsi que sa “dépénalisation de fait”.
Le défaut d’efficacité résulte tout d’abord de la grande technicité de cette matière et du manque de formation des magistrats, qui conduit parfois ces derniers à recourir à des qualifications pénales génériques plutôt qu’à des qualifications spécifiques du code de l’environnement. Les sanctions, lorsqu’elles sont prononcées, donnent le plus souvent lieu à de simples contraventions et sont donc peu dissuasives.
En effet, selon ce rapport, les peines d’amende demeurent les peines les plus courantes (71 % des sanctions aux délits environnementaux, contre 35 % pour l’ensemble des délits), mais leurs montants sont assez faibles, et baissent régulièrement (à l’exception d’affaires de pollution des eaux marines par hydrocarbure lourdement sanctionnées par les juridictions du littoral spécialisées). Les peines d’emprisonnement restent rares (14 % des sanctions prononcées, contre 49 % pour l’ensemble des délits), et sont en général assez courtes et assorties d’un sursis.
En outre, le droit de l’environnement se trouve fractionné dans plusieurs codes et les incriminations sont souvent définies par renvoi à la réglementation administrative. Quant au contentieux environnemental, il se trouve partagé entre l’ordre administratif et l’ordre judiciaire. Tout cela porte atteinte à la lisibilité et à l’efficacité de la lutte contre les infractions environnementales. Au final, c’est l’ensemble du droit pénal de l’environnement qu’il faudrait réécrire pour gagner en lisibilité et en efficacité.
Enfin, le manque de moyens financiers et humains pour contrôler les installations, constater les infractions et les poursuivre contribue également à l’ineffectivité du droit de l’environnement. Les atteintes à l’environnement, pourtant graves et nombreuses, sont donc rarement sanctionnées.
5. Dans « l’affaire du siècle » en 2021, pour la première fois l’Etat Français a été condamné à verser un euro symbolique aux associations requérantes pour carences fautives concernant les réductions d’émission de gaz à effet de serre. Remarquez-vous une prise de conscience, une considération nouvelle pour ce sujet, dans les milieux que vous fréquentez, depuis cette affaire ?
Le lancement de l’Affaire du Siècle en 2018 et toute la mobilisation citoyenne qu’elle a engendré (plus de 2.000.000 de signatures pour la pétition en ligne) a certainement contribué au renforcement de la prise de conscience environnementale et surtout climatique.
Les contentieux “devoir de vigilance” initiés contre des multinationales conduisent par ailleurs les avocats à intégrer dans leur profession les préoccupations de la société civile. Mais les avocats ne se contentent pas d’accompagner des entreprises dans leur démarche RSE, ils deviennent aussi des acteurs du changement. En raison de convictions personnelles, de nombreux avocats mènent des actions pro bono ou en lien avec la protection et la défense de l’environnement et s’engagent aux côtés d’associations environnementales..
Le fait pour un collaborateur d’avoir un engagement associatif en parallèle est de plus en plus apprécié par les cabinets, même les plus gros. C’est ce que j’ai pu expérimenter lorsque j’étais collaboratrice chez Watson Farley & Williams. Malgré les contentieux en cours de Notre Affaire à Tous contre l’Etat et des multinationales, j’ai réussi à négocier un temps partiel (4/5e) – en contrepartie d’une baisse de ma rétrocession d’honoraires – pour pouvoir m’impliquer davantage dans les projets de l’association. Tout ça est donc positif.
6. Quel est le poids, aujourd’hui, des ONG militant pour le climat, dans le domaine juridique, notamment, dans les tribunaux ?
Les ONG sont devenues des acteurs incontournables dans le contentieux environnemental et climatique. L’action des associations est nécessaire afin de contrôler l’administration publique désormais garante de la préservation de l’environnement. Comme rappelé par la CEDH, en participant à des débats d’intérêt publics, les ONG ont un rôle de « chien de garde » comparable à celui de la presse.
Les associations contribuent également à la mise en œuvre du droit de l’environnement, c’est grâce à leur travail que la protection de l’environnement progresse. Elles sensibilisent les élus sur des questions environnementales d’intérêt général et apportent de nouvelles réflexions juridiques dans le cadre de stratégies contentieuses qui contribuent à transformer le paysage normatif et faire émerger de nouvelles notions, comme celle des générations futures ou des droits de la nature.
Dans l’Affaire du Siècle par exemple, les ONG sollicitaient la reconnaissance d’un nouveau principe général du droit de vivre dans un système climatique soutenable. Récemment, France Nature Environnement et d’autres associations ont saisi le Conseil Constitutionnel afin qu’il examine une question prioritaire de constitutionnalité relative au projet nucléaire CIGEO. Le but est de savoir si ce projet permet de respecter le principe constitutionnel de solidarité transgénérationnelle, autrement dit, vue la dangerosité de ces déchets et la durée durant laquelle ils resteront dangereux, s’il est autorisé de laisser une telle charge aux générations futures.
7. Selon vous, faudrait-il accorder une personnalité juridique à la nature ?
Dans un contexte d’urgence écologique qui appelle à repenser notre rapport au vivant, les droits de la nature pourraient d’une part permettre de changer notre conception de la nature, d’autre part apporter un mécanisme de protection complémentaire au droit de l’environnement. Sur le plan juridique, nous pourrions franchir une étape supplémentaire dans la protection des écosystèmes qui pourraient agir de manière plus directe en justice par l’intermédiaire de représentants, là où les associations de protection de l’environnement n’ont pas toujours les moyens de porter des recours et peuvent voir leur intérêt à agir rejeté par le juge.
Mais il ne faut pas négliger l’aspect symbolique non plus. En faisant passer les entités naturelles du statut d’objet à celui de sujet de droit, nous changerions notre manière de percevoir la nature et donc notre comportement envers elle. Nous pourrions ainsi dépasser la vision anthropocentrique profondément ancrée dans notre droit, où la nature est perçue comme une simple ressource pour les besoins humains, et adopter une vision écocentrique voire géocentrique qui prend en compte la nature pour sa valeur intrinsèque ainsi que les limites planétaires.
Les droits de la nature ne règlerons pas tout et il y a encore beaucoup de réflexions à mener, mais ils offrent de belles perspectives et gagneraient à être appliqués.