À la fin de l’année 2022, la population carcérale en France a atteint un de ses niveaux les plus hauts. Avec plus de 72 800 détenus dans les prisons françaises, le taux d’occupation carcérale en France est aujourd’hui de 120 %, contre 115,4 % il y a un an. Dans une récente tribune publiée sur le quotidien le Monde on peut même lire que « cinquante-six prisons françaises affichent une densité supérieure à 150 % et celle-ci dépasse même 200% dans six établissement ». Ces données témoignent des nombreux problèmes qui existent en France au niveau du milieu carcéral, problèmes liés et engendrés en grande partie par cette problématique de la surpopulation carcérale. Des solutions doivent indéniablement être trouvées notamment au niveau politique comme en atteste la condamnation de la France pour l’état de ses prisons par la Cour européenne des droits de l’Homme en 2020.
Forte d’une grande expertise face à ces thématiques, la Maître de conférences en droit public et chercheuse en droit Julia Schmitz abordera ici les thématiques de la surpopulation carcérale et la réinsertion des détenus. En passant par leurs causes et conséquences, elle évoquera également de possibles solutions pour faire face à ces deux problématiques qui représentent de réels enjeux, notamment en France.
1. Une présentation de votre parcours et de votre métier
Après avoir soutenu ma thèse de doctorat consacrée à la théorie de l’institution du Doyen Maurice Hauriou, je suis devenue Maître de conférences en droit public à l’Université Toulouse Capitole.
J’enseigne différentes matières de droit public comme le droit constitutionnel, le droit international, le droit des libertés fondamentales, le droit européen des migrations et de l’asile ou le droit pénitentiaire, auprès de publics différents, étudiants comme professionnels en formation continue.
Quant à mes travaux de recherche, ils se sont poursuivis sur l’analyse de l’Etat de droit à travers l’étude du discours du juge et du droit des libertés. Je m’intéresse plus particulièrement à des domaines juridiques particuliers, au croisement de plusieurs disciplines, tels que les droits d’exception, le droit des étrangers et le droit pénitentiaire.
Dans ce dernier domaine, mes recherches ont récemment porté sur les spécificités juridiques et contentieuses de l’espace carcéral, pour étudier le droit à la réinsertion des personnes détenues (J. Schmitz (dir.), Le droit à la réinsertion des personnes détenues, Ed. Varennes, « Colloques et Essais », 2017), le droit du travail pénitentiaire (M.-C. Amauger-Lattes, J. Schmitz (dir.), La relation de travail en détention : enjeux et perspectives juridiques, IFJD, 2022), ainsi que le dualisme juridictionnel et ses enjeux en termes d’accès au juge par les personnes détenues. Je participe également au projet de recherche « Acceptation sociale de la restriction des libertés dans le contexte de la pandémie de Covid-19 » dans le cadre duquel j’ai constitué une équipe avec deux chercheurs de l’Ecole Nationale d’Administration Pénitentiaire pour analyser la gestion de la crise sanitaire au sein des établissements pénitentiaires.
En 2021, j’ai créé un diplôme universitaire de droit pénitentiaire en partenariat avec la Direction Interrégionale des Services Pénitentiaires de Toulouse, l’École Des Avocats Sud-Ouest Pyrénées et l’École Nationale d’Administration Pénitentiaire. Ce diplôme vise à répondre à un double besoin de formation : celui des professionnels de l’administration pénitentiaire, des intervenants extérieurs ou des professionnels de la justice, et celui des étudiants qui souhaitent préparer les concours pénitentiaires ou compléter leur cursus universitaire. Les séminaires sont assurés par des universitaires, des magistrats, des avocats, des observateurs extérieurs et des personnels de l’administration pénitentiaire et proposent une vue transversale et actualisée du droit pénitentiaire, droit en constante évolution et qui fait l’objet d’un contentieux grandissant.
2. Pourquoi avez-vous eu cette idée d’organiser des colloques pour parler de la surpopulation carcérale et de la réinsertion des prisonniers ? En quoi ce sont des enjeux importants selon vous dans la société actuelle ?
« Une société se juge à l’état de ses prisons ». Cette affirmation de Camus est pleine de sens pour un juriste. La manière dont s’exerce le droit de punir dans une société est le reflet de l’état de notre Etat de droit, ce qui intéresse les professionnels de la justice et de l’institution pénitentiaire, mais aussi de manière générale les étudiants et les citoyens.
En effet, le concept d’Etat de droit implique de rendre effectif les droits et libertés reconnus aux individus en toutes circonstances, y compris lorsque l’on prive une personne de sa liberté individuelle. Hormis la liberté d’aller et venir, les autres droits et libertés ne doivent, en principe, pas être impactés par cette situation de privation de liberté.
De plus, depuis la révolution française, une question récurrente se pose : « à quoi sert la prison et quel est le sens de la peine? ». Si le droit pénal s’est humanisé et vise non pas tant à punir qu’à protéger la société, comment éviter la récidive sans chercher à insérer et réinsérer la personne qui s’est vue condamnée à une peine de prison? C’est d’ailleurs le double objectif fixé par l’article 707 du Code de procédure pénale : « préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne condamnée afin de lui permettre d’agir en personne responsable, respectueuse des règles et des intérêts de la société et d’éviter la commission de nouvelles infractions ».
Si la doctrine juridique s’interroge depuis longtemps sur le paradoxe consistant à exclure une personne de la société aux fins de la réinsérer, le pouvoir politique s’est également saisi de la nécessité de transformation du service public pénitentiaire et de son ouverture sur la société civile, comme en témoignent les nombreuses réformes pénales et pénitentiaires. Or, un constat alarmant et récurrent sur l’état des prisons est fait depuis de nombreuses années conduisant à remettre en cause l’utilité de cette peine. En 2000, des sénateurs parlaient d’une « humiliation pour la République ». En 2022, même après la grande réforme pénitentiaire de 2009, un rapport parlementaire d’enquête a souligné les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française, faisant état du phénomène structurel de la surpopulation carcérale et des insuffisances des activités de réinsertion.
Plusieurs fois condamnée par les juges, européen et nationaux, l’administration pénitentiaire qui s’est vue confier des missions toujours plus importantes en matière de réinsertion des personnes dont elle a la garde, se situe au bout de la chaîne pénale, et ne peut dès lors agir seule sur les défaillances du système carcéral. Le juge administratif est en effet venu maintes fois rappeler que l’administration pénitentiaire « est tenue d’accueillir, quel que soit l’espace disponible dont elle dispose, la totalité des personnes mises sous écrou ». Lieux d’échange et de dialogue entre les différents acteurs de la politique pénale et pénitentiaire, les colloques universitaires permettent alors de nourrir la réflexion entre l’administration pénitentiaire, les juges, les avocats, et les parlementaires sur ces problématiques dans une démarche d’analyse mais aussi de proposition.
3. En quoi la présence du contrôleur général des lieux de privation de Liberté (CGLPL) vous semblait importante pour parler de ces thèmes ? En quoi le rôle de cette Autorité administrative indépendante (AAI) est important malgré l’absence de pouvoir de sanction ?
Créée en 2007, le CGLPL a désormais 15 ans d’existence, ce qui lui confère un regard éclairé et global sur la situation des prisons françaises. Compétente pour contrôler l’ensemble des lieux privatifs de liberté, elle déploie en outre une analyse transversale et critique.
Si cette AAI ne dispose pas du pouvoir de contraindre le gouvernement ou un établissement pénitentiaire à se réformer, elle a su développer des stratégies de persuasion pour une évolution du cadre juridique et matériel de l’institution pénitentiaire. Inlassablement, le CGLPL rend compte de ses visites et de ses analyses auprès du public, et fait part de différentes manières de ses recommandations aux pouvoirs publics : tribunes dans la presse, communiqués sur son site internet, courriers adressés aux ministres, recommandations en urgence, rapports et avis publiés au Journal officiel. Les observations de cette Autorité sont aujourd’hui retenues par les juridictions nationales et européennes.
Dans son arrêt J.M.B. c. France du 31 janvier 2020, le juge européen s’est ainsi fondé sur les rapports de visite établis par le CGLPL dans de nombreux établissements pénitentiaires pour conclure à la violation par la France de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits et libertés fondamentaux relatif au droit à ne pas subir des traitements inhumains ou dégradants. Le juge souligne ainsi que « la France figure parmi les États européens dont les prisons sont les plus surpeuplées et dont la population carcérale augmente […] Sur les huit pays qui continuent de rencontrer des problèmes graves de surpopulation carcérale, la France figure en troisième position ». Le contrôle exercé par le CGLPL, relayé par la condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme a permis de mettre au grand jour le phénomène de la surpopulation structurelle des prisons françaises.
Récemment encore, c’est également en s’appuyant sur l’expertise du CGLPL que le juge administratif a qualifié les conditions de détention dans plusieurs établissements pénitentiaires comme à Toulouse, Bordeaux ou encore à Nanterre d’indignes, exposant les personnes qui y sont soumises à « un traitement inhumain ou dégradant », constituant ainsi « une atteinte grave à une liberté fondamentale ».
4. Quels sont selon vous les causes majeures de la surpopulation carcérale ? Quelles sont les principaux problèmes liés à cette surpopulation ?
Les causes de la surpopulation carcérale sont multiples. On peut néanmoins mettre en évidence deux types de facteurs, relevant de la politique pénale ou pénitentiaire.
Le premier réside dans la mise sous écrou due à la législation pénale telle qu’elle est aujourd’hui pensée, avec l’existence de procédures de comparution immédiate, la multiplication des infractions et des courtes peines de prison. De plus, le « réflexe carcéral » des juges les conduit à ne pas recourir aux peines alternatives ou aux aménagements de peine et à incarcérer ou maintenir en détention des personnes souffrant de troubles mentaux, des personnes âgées ou en situation de handicap. Tout cela contribue à l’augmentation du nombre de placements en détention provisoire et de condamnations à de la prison ferme.
Le second facteur est lié à l’état du parc pénitentiaire lui-même avec des établissements vétustes et inadaptés à l’accueil de la population carcérale, et une inégalité d’implantation territoriale qui ne correspond pas à la socio-démographie de la délinquance. Il est à noter que ce sont essentiellement les maisons d’arrêt accueillant les personnes en détention provisoire et les courtes peines qui subissent ce phénomène, avec des taux moyens de densité carcérale aux alentours de 140%, dépassant les 200% dans certains établissements.
Comme l’a rappelé le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son rapport de 2018 consacré à la surpopulation carcérale, les conséquences ne sont pas seulement d’ordre matériel. Si la surpopulation conduit à des conditions matérielles indignes avec des cellules occupées par 3 ou 4 personnes, des matelas au sol, et des infrastructures sanitaires insalubres et sans intimité, c’est également l’ensemble du fonctionnement d’un établissement pénitentiaire et de sa mission qui sont impactés. On peut notamment faire le lien avec la remise en cause des activités de réinsertion, la détérioration de l’accès aux soins ainsi qu’un climat de violence et des conditions de travail dégradées pour le personnel pénitentiaire et toutes les personnes qui interviennent en détention : intervenants sociaux, enseignants, avocats, soignants…
5. Quelles sont les solutions que l’on pourrait trouver pour remédier à ce problème ? (que ça soit des solutions juridiques/pratiques etc.) Que pensez-vous notamment de la proposition de loi émanant du Sénat et visant à mettre fin à la surpopulation carcérale ?
La crise sanitaire a paradoxalement été l’occasion de démontrer qu’une politique volontariste pouvait mettre fin rapidement au surpeuplement des prisons françaises. L’ordonnance de la Garde des sceaux Nicole Belloubet du 25 mars 2020 a mis en œuvre plusieurs mesures d’urgence pour vider les prisons : autorisation des affectations et transferts des personnes détenues dans des établissements moins peuplés, assouplissement des procédures de réduction de peine, de permission de sortie ou de libération conditionnelle, réductions de peine supplémentaires exceptionnelles, libération anticipée en assignation à domicile… Il est cependant nécessaire de souligner que cette ordonnance a dans le même temps prévu une prolongation automatique des délais de détention provisoire afin de limiter les audiences et les contacts, dispositif qui s’est avéré contraire aux principes du droit pénal.
Toujours est-il qu’entre mars et mai 2020, la population carcérale a diminué de 13 500 détenus. Ce dispositif n’était malheureusement que temporaire et dès l’été 2020, les chiffres sont remontés. Depuis le 1er décembre 2022, la France a atteint un nouveau record du nombre de personnes détenues avec 72 836 personnes incarcérées pour 60 698 places opérationnelles de prison et 2133 matelas au sol.
Les solutions pour permettre une déflation carcérale pérenne sont connues et réclamées par de nombreux observateurs : limiter le recours à la détention provisoire, diminuer les courtes peines de prison, développer les aménagements de peine et les alternatives à la prison ou encore transférer des détenus dans d’autres établissements moins peuplés.
En outre, la proposition de loi visant à mettre fin à la surpopulation carcérale déposée par un groupe de sénateurs le 5 septembre 2022, reprend des dispositifs qui ont depuis longtemps été recommandés, dont la mise en place d’un numerus clausus dans chaque établissement pénitentiaire et un dispositif de régulation carcérale impliquant l’administration pénitentiaire, le procureur de la République et le juge d’application des peines pour activer les aménagements de peine tels que la libération sous contrainte ou des dispositifs de réduction de peine exceptionnelle en cas de dépassement du quota fixé. Ces préconisations ont déjà été formulées dans un rapport remis au Garde des sceaux en 2014 et sont régulièrement réclamées par le CGLPL et l’ensemble des observateurs extérieurs tels que la Commission nationale consultative des droits de l’homme, le Conseil de l’Europe ou l’Observatoire international des prisons.
Malgré tout, les réformes actuelles ne semblent pas aller en ce sens et leur efficacité est d’ailleurs questionnée dans le dernier rapport de 2021 sur la France du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Les récents plans pénitentiaires ont en effet axé la politique de déflation carcérale sur la construction de nouvelles places de prison comme en atteste le Plan d’action pour la justice présenté par le garde des sceaux le 5 janvier dernier. Ce choix est dénoncé comme constituant pour le CGLPL une « fuite en avant », une prison vide ayant toujours vocation à être remplie comme le prouve l’augmentation parallèle des chiffres de la surpopulation carcérale et de la capacité du parc pénitentiaire
Les mesures instaurées par la loi de programmation de la justice du 23 mars 2019 et qui vont entrer en vigueur en ce début d’année semblent insuffisantes. Ainsi, si la peine de détention à domicile sous surveillance électronique vise à supprimer les peines d’emprisonnement ferme inférieures à un mois, elle ne permettra pas d’impacter les peines inférieures à six mois qui sont les plus nombreuses. De même si la loi rend obligatoire les aménagements de peine pour les peines d’emprisonnement ferme inférieures ou égales à six mois, elle limite la possibilité d’aménager les peines supérieures à un an.
La même tendance semble être poursuivie par la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire qui hésite une fois de plus entre vider ou remplir les prisons. Cette réforme vise à limiter le recours à la détention provisoire en favorisant le recours à l’assignation à résidence sous surveillance électronique. Elle améliore également le dispositif de la libération sous contrainte pour les peines de moins de deux ans. Mais dans le même temps, cette réforme supprime les crédits automatiques de réduction de peine qui avaient été institués en 2004.
De manière générale, il semble que les pouvoirs publics n’affrontent pas le problème de la surpopulation carcérale, en continuant à cacher ce problème sous le tapis. Dans ce cadre on peut citer les successives prorogations du moratoire sur la mise en œuvre du principe de l’encellulement individuel, encore récemment repoussé jusque fin 2027 par la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.
Dans son rôle de surveillance de l’exécution de l’arrêt J.M.B. c. France, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe n’a pu que constater en décembre dernier l’échec des mesures adoptées jusque-là par les autorités françaises pour résorber la surpopulation carcérale et recommande de « mettre l’accent sur toutes les mesures alternatives à la détention et renforcer les moyens nécessaires à leur développement et leur application par les juridictions plutôt que de continuer à augmenter les places carcérales ».
6. Estimez-vous que la législation actuelle en matière de réinsertion des détenus est suffisante ?
Le principe de réinsertion a été mis en exergue depuis la loi pénitentiaire de 2009. Il s’agit cependant d’un principe polymorphe et ambigu qui s’insère dans un dispositif pénal et carcéral complexe. Il implique des obligations positives multiples à la charge de l’administration pénitentiaire à qui l’on a confié cette mission. Elle peut les mettre en œuvre grâce à des partenariats extérieurs : services de santé, éducation nationale, employeurs etc. Mais on ne peut véritablement qualifier ce principe de réinsertion de droit dont la personne détenue pourrait se prévaloir et opposer à l’administration pénitentiaire. La réinsertion est en effet encore pensée en termes d’effort et non de droit. Ainsi, l’article 721 du Code de procédure pénale prévoit qu’ « une réduction de peine peut être accordée par le juge de l’application des peines, après avis de la commission de l’application des peines, aux condamnés exécutant une ou plusieurs peines privatives de liberté qui ont donné des preuves suffisantes de bonne conduite et qui ont manifesté des efforts sérieux de réinsertion ».
De plus, sur le plan pratique, la durée des peines est souvent courte, et la surpopulation carcérale ainsi que les conditions de détention, en particulier dans les maisons d’arrêt, empêchent tout projet sérieux de réinsertion. De même, la création des nouvelles prisons tend à les éloigner toujours plus de la cité, privant les personnes détenues du tissu familial, social, éducatif et économique nécessaire à leur réintégration dans la société.
7. Pensez-vous que la récente réforme du statut du détenu travailleur, qui a pour but de rapprocher ce statut du droit commun du travail, est une réforme utile ?
Depuis la loi pénitentiaire de 1987 et la suppression de l’obligation de travailler en prison, le statut du travailleur détenu a connu une certaine évolution. Mais la singularité juridique du travail carcéral qui reposait sur l’absence de contrat de travail entrainait des effets néfastes en termes de réinsertion et excluait toute application des garanties du code du travail, que ce soit en matière de rémunération, de droit à la retraite, au chômage, aux congés payés, aux congés maladie etc. Or le travail en détention est essentiel en termes de réinsertion et répond également à un besoin immédiat d’insertion en assurant à la personne détenue un revenu lui permettant de cantiner et d’atténuer les difficultés des conditions de détention.
La loi pour la confiance dans l’institution judiciaire du 22 décembre 2021 est venue en partie remédier à cette situation en offrant au travailleur détenu un statut protégé par un contrat public d’emploi pénitentiaire qui vient préciser les règles relatives à la durée du travail en détention ainsi que les modalités de formation et de cessation de la relation de travail. La réforme prévoit aussi la compétence de la médecine du travail et permet de reconnaître des droits à la formation et des droits sociaux aux travailleurs détenus comme l’affiliation à l’assurance‑vieillesse ou à l’assurance-chômage, même si ce droit ne sera ouvert qu’après la détention.
Le rapprochement avec le droit commun du travail n’est cependant pas abouti puisque les indemnités journalières de l’assurance‑maladie sont toujours exclues pendant la détention, de même que les indemnités de rupture ou la reconnaissance de congés payés. Les droits collectifs, comme le droit syndical, ne sont toujours pas consacrés. La réforme semble également complexifier la procédure d’accès au travail puisque la personne détenue doit d’abord être classée au travail, avant d’être affectée sur un poste avec la mise en place d’entretiens professionnels. Cette réforme ne semble pas tenir compte de la situation de vulnérabilité de ce public souvent éloigné de la formation et de l’emploi. Reste à voir comment elle sera appliquée concrètement sur le terrain avec un budget limité et la réticence de certains acteurs. Il faut en effet souligner que l’obligation de rémunération horaire des travailleurs détenus qui avait pourtant été instaurée par la loi de 2009 n’a jamais été pleinement appliquée. Par exemple, certains concessionnaires continuent à rémunérer les personnes détenues à la pièce en raison de la faible productivité du travail en détention.
De plus, la réforme n’a pas mis fin à la dimension disciplinaire du travail carcéral. En effet, le travail peut être suspendu ou arrêté par le chef d’établissement pour des motifs disciplinaires ou liés au maintien du bon ordre et de la sécurité des établissements. Loin d’être totalement considéré comme un droit, le travail en prison est encore pensé comme une sorte d’obligation puisque selon l’article 717-3 du Code de procédure pénale, « Les activités de travail et de formation professionnelle ou générale sont prises en compte pour l’appréciation des efforts sérieux de réinsertion et de la bonne conduite des condamnés ». Or, l’offre de travail en détention est encore largement insuffisante.
Il est à noter cependant que l’administration pénitentiaire s’est dotée d’une ressource essentielle pour développer en quantité et en qualité l’offre de travail en prison, avec la création en 2018 de l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice (ATIGIP).
8. Il y a-t-il un point que vous n’avez pas eu l’occasion d’aborder à travers les questions mais que vous estimez central à aborder s’agissant de l’une et/ou l’autre de ces problématiques ?
Il faut en effet évoquer une réforme récente qui constitue une étape fondamentale pour l’évolution du droit pénitentiaire, souvent qualifié de droit obscur ou d’ « infra-droit », avec l’entrée en vigueur le 1er mai 2022 du code pénitentiaire.
Rédigé à droit constant, ce code institue néanmoins un changement symbolique important en séparant la matière pénitentiaire du code de procédure pénale. Si cette séparation peut être discutée, tant la matière pénitentiaire est enchevêtrée avec la matière pénale, cette isolation met au jour les problématiques carcérales et pose la question du périmètre pénitentiaire. Ce code souligne ainsi la diversité des missions du service pénitentiaire à l’intérieur mais aussi hors des murs.
Propos recueillis par Lisa-Marie Rodriguez